Tuesday, April 10, 2007

Les carnets du Beyrouthin ( IV ).



EN ATTEDANT L’ORAGE.


Hier soir, j’ai regardé Ghassan Tueini à la télévision et le sommeil me gagnait au fur et à mesure que l’émission se déroulait.

Pourtant l’heure n’était point tardive, cependant, les assurances apaisantes et les propos lénifiants du vénérable patriarche de la presse Libanaise eurent finalement raison de mon intérêt ; mais point de mon inquiétude.

C’est aussi depuis un bon bout de temps mon attitude vis-à-vis de son journal ‘An-Nahar ’ qui se vit pour des raisons de gratitude morale (Ghassan Tueini dixit) , envers le Grand Homme dont les restes reposent en paix au Saint-Sépulcre de la Place des Martyrs, échanger son symbole de coq de combat redoutable et intransigeant contre celui d’un grassouillet chapon domestique et dûment châtré.

Mais tout cela n’est que balivernes, c’est l’abîme vers lequel nous nous acheminons inexorablement qui me glace ; et si je ne m’y engage plus en analyses politiques et autres spéculations, c’est que les choses sont désormais rendues dans leur crudité la plus brutale de sorte qu’un aveugle y verrait clair et qu’un sourd entendrait.

Et puisque pour la mémoire, le temps et l’espace n’existent pas, la mienne clémente me ramena doucement en un délicieux voyage à rebours, loin, très loin, comme pour me faire oublier, ne fut-ce que l’espace d’un moment, ce présent minable sans espoir ni lendemain - La voix fatiguée de Ghassan Tueini s’estompa donc graduellement et je me retrouvais à l’aube d’un matin depuis longtemps évanoui dans la nuit des temps. L’époque : les années 1960, la place : le café trottoir 'La Dolce Vita' à Raouché, l’heure : 04 à l’aube.

Un petit joyau de café avec des nappes et parasols bleus et un expresso dont je n’ai dégusté de pareil depuis, ni à Turin, ni à Milan, ni chez Florian.

La fin de la nuit s’annoncait tiède et langoureuse comme seules les nuits de Beyrouth savent l’être et le frangipanier avoisinant me renvoyait le parfum doux et capiteux de ses branches fleuries. Un calme et une sérénité presque irréelle inondaient la place. Apres une soirée endiablée comme seuls les jeunes savent improviser, j’étais là, vidé mais heureux, dans un état de paix profonde avec le monde et avec moi-même. Du coin de l’œil, j’observais discrètement Nizar Kabbani assis à une table voisine ; il était là tout seul, sans gonzesse pour une fois, ni crayon ni calepin, juste un café et un paquet de clopes.

Une limousine parqua devant le trottoir, deux hommes et une femme en descendirent et se mirent à une table voisine ; quelques minutes plus tard, j’entendis la femme rire aux éclats ; la regardant avec un peu plus d’attention, je reconnus Dalida.

En ces temps là, l’humble petit paradis, niché au creux de la douce Méditerranée, sommeillait voluptueusement aux premières lueurs de l’aube, merveilleuse promesse d’un nouveau matin bleu serein et sans soucis.

Du temps de l’ancienne Rome, il était coutume lorsque César paradait sur son chariot inspectant ses légions victorieuses et la foule en délire, d’avoir toujours debout derrière lui un esclave pour lui chuchoter à l’oreille : N’oublie jamais César que toute gloire est éphémère.

Ibrahim Tyan.

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