Saturday, November 17, 2007

Novembre à Beyrouth.



Novembre à Beyrouth fait partie de ces cadeaux merveilleux que Mère-Nature accorde bénévolement à tout Libanais, pourvu qu’il soit béni d’yeux pour voir, de sens pour sentir, et de la sagesse nécessaire pour savourer une telle aubaine, dans la gratitude et l’humilité.

Indifférent à nos imbécilités navrantes et nos égarements funestes, le soleil continue de filer une histoire d’amour immémoriale avec notre beau pays, aussi constante et immuable que mon acharnement à cliquer systématiquement l’icône ‘’Save’’ sur l'écran de mon PC après l’écriture de chaque ligne, histoire de conserver intacts les fruits de mes pensées, avant qu’une aussi soudaine que malencontreuse coupure d’électricité ne vienne les éparpiller dans les abysses du cyberespace.

Ainsi va la vie de ces Libanais, jugés quantité tellement négligeable par la compagnie d’Electricité du Liban, qu’elle n’a daigné en aucun jour leur établir le moindre programme intelligible pour le rationnement du courant ; de telle manière que l’électricité risque de leur être coupée à toute heure, pour une période indéterminée, et ceci en un nombre de fois inconnu au cours d'une même journée.

Inconscients de leurs droits vitaux les plus légitimes et les plus fondamentaux, les Libanais continuent de ‘’militer’’ pour des lubies et des chimères, sacrifiant le précieux pour le futile et l’irremplaçable pour l’inutile, la vain, et la poursuite de vent.

* * * *

…et quand il eut passé le pont, les fantômes vinrent à sa rencontre.

_ Abraham [Bram] Stoker, Dracula.

Cette phrase tirée du célèbre roman ‘’Gothique’’ du XIXème me revint soudainement alors que je passais en cette radieuse matinée de Novembre la place des Martyrs allant vers Bab-Idriss, avec pour destination finale le ciel, le soleil, et la Méditerranée d’Aïn-el-Mraïsseh.

Après le brouhaha de Dora, les embouteillages de Bourj-Hammoud et les quartiers denses de Mar Mikhael, le vide et le silence de la place des Martyrs avaient de quoi jeter dans l’âme un trouble indéfinissable.

Cela faisait bien deux bons mois que je ne m’étais aventuré en ces parages, et le changement qui y était advenu durant cette courte période n’en paraissait que plus flagrant.

Devant l’immeuble de la municipalité de Beyrouth, une double rangée protectrice de blocs en béton s’étalant presque jusqu’à Bab-Idriss avait fait son apparition, ainsi que des fils barbelés à l’embouchure de la rue des Banques et celle de Maarad. A ma gauche, les nouveaux cafés-trottoir du ‘’Downtown’’ étaient presque tous fermés, et ceux plus rares à ma droite affichaient des tables quasi vides. Partout n’étaient que véhicules militaires, bandes jaunes d’interdiction et patrouilles armées.

Mais ce qui me frappa le plus au fur et à mesure que j’avançais, était l’absence notable de vie dans ces parages sensés abriter les ruches les plus actives de la nouvelle élite Libanaise. Les passants étaient rares, la circulation presque nulle, et ce silence insolite en beau milieu de semaine, semblable à celui d’une paresseuse matinée du Dimanche, la sérénité en moins….

Arrivé au croisement de chemins où se tenait la carcasse calcinée de ce qui fut un jour le ‘’Holiday Inn’’, je jetais un coup d’œil à travers la route qui descendait vers la mer, vers ce nouvel Alcatraz de luxe : ‘’le Phœnicia’’, où se trouvaient séquestrés derrière une nouvelle forêt de blocs en béton, de véhicules blindés et de sentinelles équipées comme pour la reconquête de Jérusalem, une quarantaine de repris de justice, logés aux frais de sa gracieuse majesté Wahhabite.

Une mouche bleue n’y aurait pas passé ; mais les putes de luxe aux dernières heures de la nuit étaient une autre histoire…

Je continuais donc mon petit bonhomme de chemin, ricanant sous cape de cet étalage impressionnant d’armement ultramoderne et de guerriers farouches dont la bravoure devant l'ennemi lors de la désormais illustre ‘’Marjeeyoun tea party’’ en 2006, est restée légendaire.

* * * *

Depuis le départ de mon cher Abou Ragheb parti pour le pays des Kangourous¹, et la fermeture définitive de son kiosque par son neveu Moussa qui ne fit pas long feu après lui, je prenais mon café à Aïn-el-Mraïsseh un peu au hasard, là où j’en trouvais.

Dernièrement, j’avais jeté mon dévolu sur une demi douzaine de cafés sommaires qui bordaient les deux côtés de la rue qui menait au ‘’Hard Rock Café’’. Telle fut ma surprise de retrouver cette artère d’habitude si grouillante de trafic et de monde, aujourd’hui fermée, vide et morne, écrasée par un silence lourd et oppressant.

Je finis par dénicher un café à moitié ouvert, dont les sièges empilés les uns sur les autres dans un recoin, m’apprirent que j’étais arrivé in extremis alors qu’il n’était que 4 heures de l’après-midi.

Boire une longue rasade d’eau fraîche à même le goulot après des heures de soif et de soleil, siffler une première gorgée d’espresso tout chaud et tirer une première bouffée de cigarette, sont des petites joies intenses que ne dédaigne aucunement l’épicurien aguerri qui à expérimenté les plaisirs les plus raffinés que l’existence puisse offrir ; et le banc de pierre face à la Méditerranée qui accueillit sans broncher mes vieux os fatigués est une place de choix que je ne troquerais, même contre un siège au paradis.

Le paradis c’est quoi au fait, sinon ces rares et précieux moments furtifs de félicité complète où l’on oublie tout pour ne penser plus à rien, sauf à se gaver de beauté, d’extase et de bonheur.

Un coucher de soleil grandiose dans un ciel de Novembre pur comme du cristal sur une mer douce et calme comme l'éternité.

En cette saison, les nuits tombent brusquement sans prévenir. C’est ainsi qu’après le bain de jouvence fait d’or solaire et de lumière qui me raviva le corps et me purifia l’esprit, l’ombre gagna furtivement ma place et l’air frisquet de la nuit me rappela qu’il était temps d’enfiler mon coupe-vent noué autour de ma ceinture.

C’est alors que je découvris que j’étais pratiquement seul sur mon banc de pierre au milieu de cette longue avenue déserte et obscure où l’on n’entendait que le chuintement des vagues désormais invisibles, dans une ville qui avait peur.

Une scène me revint d’un documentaire extraordinaire tourné par le grand Luis Buñuel intitulé : « Las Hurdes, tierra sin pan » (Terre sans pain) où l’on vit un enfant traversant une rue déserte traînant derrière lui un linceul blanc...

Lentement, je rebroussais chemin vers le parking de l’hôtel Vendôme où je pouvais encore me trouver un taxi qui me ramènera chez moi.

Ibrahim Tyan.

¹) Voir : Allah ma’ak ya Hajj et bon vent.

* Visitez : « Les carnets du Beyrouthin »

9 comments:

  1. j'avais publié il ya quelques jours un extrait de Barrès, dans son livre enquête au pays du Levant.
    Coincidence ou télépathie ???
    :)

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  2. La télépathie à toujours existé entre toi, moi, et tout Libanais sincère.

    Ceci dit. Le soleil, la Méditerranée, et l’extase du microcosme que nous sommes devant la splendeur et la générosité du macrocosme eternel sont des thèmes que je n’ai cessé de marteler depuis l’établissement de ce blog.

    Tu retrouveras ce leitmotiv, chaque fois sous une forme un peu différente, le long des textes qui ont aujourd’hui dépassé la douzaine et qui sont réunis aux « Carnets du Beyrouthin ».

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  3. i do not speak Spanish.

    sorry friend.

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  4. Ibrahim, je pense que c'est un spam.
    Je t'envoie ce lien d'un article écrit sur Beyrouth en 1970:

    http://www.aliciapatterson.org/APF001970/Stern/Stern03/Stern03.html

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  5. Ca doit être cela mon cher Kheir. J’ai un filtre à Spam sur « Les Carnets du Beyrouthin » mais pas sur « Lettres du Liban ».

    J’ai lu avec une attention soutenue l’article que tu me suggères.

    Quoique le climat qui régnait sur Beyrouth-Ouest en ces temps-là ainsi que multitude d’autres détails sont reportés de manière apparemment fidèle, le ton est mis d’une façon pernicieuse mais résolue pour faire ressortir d’une façon flagrante la futilité, la corruption et le mercantilisme d’une société Libanaise hybride et superficielle.

    Or nous savons toi et moi que les Libanais étaient aussi culturellement et intellectuellement à cette époque, à la pointe des peuples du Levant, y compris l’état D’Israël, dont la société hétéroclite, matérialiste et sans racines est un échec complet sur le plan culturel et social.

    A la même époque, Tel-Aviv représentait pour les Israéliens-mêmes, le summum de la bourgeoisie arrogante et renfermée, du conflit des classes, du fanatisme religieux sectaire et du racisme.

    ‘’Last but not the least’’, le nom de l’auteur :’’Stern’’ est en lui-même ‘’Self-explicit’’. L’Anglais boiteux et approximatif avec lequel cette bonne femme s’exprime laisse à supposer que son pays de résidence est tout prés de chez nous…juste outre frontière.

    Il demeure que c’est un document intéressant que je te remercie encore une fois d’avoir eu l’amabilité de me le faire découvrir

    Cordialement.

    Ps. A un certain moment dans l’article, il est question d’Omar Sharif. Or je sais qu’à cette époque, il existait un night-club ‘’stéréo’’ très huppé rue Spears, juste après Sanayeh qui s’appelait : « The Flying Cocotte » et dont Omar était copropriétaire.

    Juste pour l’anecdote.

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  6. Rhoooooooooooooooooooooooooo, Ibrahim, ce n'est pas de l'espagnol, enfin !
    Rireeeeeeeeeeeeeeeeee

    Besitos, amigo,

    Sixt'

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  7. ‘’estão’’….’’ligação’’ effectivement on dirait du Portugais ?!?

    Silly me ! :))))))))))))))))))

    Tu sais Sixt’ sans ton message, cet hurluberlu n’aurait pas obtenu plus que les 10 secondes que je lui ais accordés entre lecture + ma réponse.

    De toute façon, tu sais mieux que quiconque que mon espagnol se porte encore pire que l’actuelle situation au Liban.

    Mais te voir rigoler de la sorte me fait plaisir. Ca te va mieux , et c’est toujours ça de gagné.

    Bisous xxxx

    Ibrahim.

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  8. Je suis passée sur les carnets du Beyrouthin en sirotant mon thé... Agréable moment...
    A tout bientôt, ami.

    Sixt'

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  9. Certaines choses ne valent pas grand-chose sans l’appréciation des connaisseurs qui leurs confèrent toute leur valeur.

    Buenas noches Sixt’

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