Thursday, October 11, 2007

Autrefois, naguère et jadis.



Depuis l’établissement du calendrier Grégorien en 1582, il a été convenu que l’équinoxe d’automne tombe le 21, 22, 23 ou 24 Septembre de chaque année, et se distingue dans les rares pays que la nature à privilégié de quatre saisons bien définies, par un adoucissement climatique progressif qui vient marquer la fin des chaleurs d’été et préluder l’avènement des rigueurs hivernales.

Les célèbres ‘’sanglots longs…’’ de Verlaine, ‘’Les feuilles mortes’’ de Prévert, ou ‘’Le chant d’automne’’ de Baudelaire, n’en sont que des spécimens prélevés au hasard sur le vaste et merveilleux répertoire séculaire établi par les grands chantres romantiques de tous les temps, pour exalter en de lignes inoubliables, la magie trouble et mélancolique des pâles lueurs automnales.

Or il est un vieux dicton bien de chez nous qui affirme que pour jouir pleinement des saisons de l’année, il faut passer le printemps à Damas, l’hiver au Caire et l’automne à Beyrouth.

Curieusement, il n’est point question d’été dans cet aphorisme, ce qui porte à croire que l’auteur nous as délibérément laissés le champ libre durant toute cette saison, pour nous démerder comme bon nous semble ; que cela soit à Palma, ou sur la Côte d’Azur, ou encore sur la Riviera Italienne, à moins que l’enfer climatisé de Riyad ne nous tente, et ses mornes dunes poudreuses et calcinées..

Les goûts et les couleurs étant ce qu’elles sont, [et les intérêts, ce que vos savez], cette dernière option complètement impensable chez certains, pourrait bien s’avérer une destination de choix pour d’autres…

* * * *

Situé à 33° 53' 13’’ Nord et 35° 30' 47’’ Est du Levant, (terme que je préfère à celui du : « Moyen-Orient » imposé par les Anglo-Saxons), le Beyrouth d’aujourd’hui est cité dans plusieurs manuels récents de géographie parus à travers le monde, comme étant un centre financier et un port de commerce qui fut jadis un centre culturel d'une importance majeure dans l'est de la Méditerranée et les pays Arabes, et qui à été longtemps considérée, du fait de son emplacement stratégique, comme un carrefour entre trois continents (l'Asie, l'Afrique, et l'Europe), et un accès vers l'Orient !

« Qui fut jadis… », et « Qui à été longtemps considéré… »

Comme certaines expressions anodines, peuvent brûler pire qu’un fer rouge !

Tout dépend du contexte.

* * * *

JADIS…

Autrefois, la vie des Beyrouthins coulait douce et sans hâte, heureuse, indolente et avec peu de soucis. L’été, la capitale Méditerranéenne se vidait de la plupart de ses habitants car presque tout Beyrouthin possédait ou louait une seconde habitation à la montagne pour y estiver durant la saison des grandes chaleurs.

Les Beyrouthins Chrétiens choisissaient généralement les hauteurs du Metn et du Kesserwan pour y passer l’été, tandis que la préférence des Musulmans allait vers les régions d'Aley, Bhamdoun et Souk-el-Gharb dans le Mont-Liban ainsi qu’aux nombreux villages du Chouf.

Quant aux citadins les plus aguerris et dont j’en fais toujours partie, rien ni personne ne pouvait les déplacer de leur chère vieille ville ni de les éloigner des langueurs azuréennes de leur Méditerranée.

Il faut dire qu’en ces temps là, des plages sans pareil, au sable fin et doré, portant des noms indélébiles dans la mémoire Beyrouthine, notamment: le Côte d’Azur, le Saint-Michel, Le Saint-Simon, le Riviera, l’Acapulco et tant d’autres, plus belles et plus élégantes les unes que les autres, longeaient le long du littoral sud, de la région d’Ouzaï jusqu’à Jnah, se succédant comme des perles en Lapis Lazulite enchâssées dans de l’or, à faire pâlir d’envie les golfes du Bengale et les sables d’Hawaï.

Que de fois me suis-je demandé sur le sort du coquet petit chalet en bois au Saint-Michel, qui fut mien pendant des années, et dont le parquet qui grince, à connu des soirées à étonner des princes… (Salut Barbara).

En ces temps bénis à jamais révolus, la vie était bien plus clémente qu’aujourd’hui, même pour les plus démunis, et une certaine sagesse sereine caractérisait les Beyrouthins qui savaient par instinct que le secret du bonheur véritable réside dans le pain quotidien dûment gagné par le labeur dans la dignité.

Aujourd’hui, presque tous les Libanais dilapident leurs précieux jours, pourtant comptés, à s’essouffler comme des lévriers après la Porsche, la villa et le Jacuzzi.

Remarquez, c’est bien joli un grand jacuzzi, avec un bon cigare, un brut bien frappé et du Mozart en fond sonore. Et pourquoi pas tant qu’on y est, une affriolante Thaï qui vous attends toute en adoration, tenant religieusement votre peignoir-éponge ? (Sincère, aucun cynisme ici)

On ne vit qu’une fois…

Mais il se trouve aussi que c’est payer stupidement trop cher de sa peau et de sa dignité humaine, que de se dégrader jusqu’à s’avilir, trahir, mentir, voler et s’infliger un ulcère duodénal chronique, dans le seul but de s’acquérir à n’importe quel prix, ce qui ne représente finalement qu’une pute, et une cuve en céramique qui fait des bulles.

* * * *

Dans l’ancien Beyrouth, l’avènement de l’automne marquait toujours la fin de la ‘’morte saison’’ d’été et l’ouverture de la grande saison mondaine, artistique et culturelle. Les places Debbas, des Martyrs et de Riyad-el Solh qui formaient le cœur battant de la capitale redoublaient en foule et en activité. Après avoir programmé tout le long de l’été des films mineurs ou en seconde vision, les salles de cinéma majeures du centre –ville réaffichaient les nouveautés les plus récentes de la production mondiale, souvent projetées en ‘’Day and Date’’ avec Paris ou Hollywood.

L’ancienne répartition des grandes compagnies cinématographiques internationales entre les salles de cinéma Beyrouthines était bien meilleure que l’ordre chaotique imposé par les distributeurs d’aujourd’hui. Ainsi donc, le cinéphile d’antan savait à l’avance que l’ancien cinéma Empire projetait en exclusivité les films de la Columbia et de l’United Artists, le Métropole : la Paramount+ des films Arabes, le Rivoli : la Warner Bros + des films Arabes, le Capitole : la MGM, le Roxy : la 20th Century Fox, le Dunia : l’Universal, le Radio City : l’Allied Artists, la Rank Britannique et la Titanus Italienne. Un peu plus haut, vers l’avenue Bechara-el-Khoury, le Gaumont Palace programmait les films Français distribués par Gaumont, Odéon et Pathé ainsi que les films Soviétiques de la Mosfilm.

Pour les cinéphiles avertis, Beyrouth rengorgeait de ciné-clubs, mais le plus important et le plus notoire était sans doute le ciné-club de Beyrouth qui reprenait son activité au début de la saison d’automne et dont le standing exceptionnel doit beaucoup au dévouement de l’infatigable Alain Plisson.

C’est grâce à ce club que j’eus l’opportunité de faire connaissance pour la première fois avec les chefs-d’œuvre immortels du cinéma, mais aussi d’avoir rencontré et eu le privilège d’effectuer des échanges personnels avec de prestigieux cinéastes invités tels, André Delvaux (timide jusqu’à l’effacement), Georges Franju (cassant et désagréable), Alain Resnais (élégant et suave) et même André Méliès, fils et collaborateur du grand pionnier du cinéma, Georges Méliès.

* * * *

Quand je regarde ce qui se fait aujourd’hui dans le domaine théâtral au Liban, je me sens partagé entre le désespoir le plus accablant et la raillerie la plus féroce.

Où en sommes nous donc de la splendeur d’antan, lorsque Mounir Abou Debs revint de France pour insuffler au théâtre Libanais ce grand élan puissant et ambitieux ?

A la fin des années 1960, j’eus la chance de me lier d’amitié avec Mounir et de participer activement aux cours donnés dans son école privée « L‘école de théâtre moderne de Beyrouth » située dans la région de Clemenceau, (tout près du domicile Beyrouthin de Walid bey…pour ceux pour qui les bornes féodales sont plus familières que les repères culturels).

Ce n’est que progressivement que je vins à découvrir l’importance de ces lieux où un monde nouveau pour moi sur lequel régnaient Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Stanislavski, Lee Strasberg et Peter Brook en maîtres absolus, et d’où est sortie la fine fleur de la scène Libanaise tels Raymond Gebara, Antoine et Latifa Moultaka, Roger Assaf, Jalal Khoury et Antoine Kerbage (celui qui fascina jadis les foules en interprétant ‘’ Le roi se meurt’’ d’Ionesco, et pas celui d’aujourd’hui…quoique je comprends parfaitement qu’il faut bien gagner son bifteck).

Qui se souvient aujourd’hui de l’éthérée Théodora Rassy, de l’intense Rida Khoury ou du merveilleux Hamlet que fut Michel Nabaa’ ?

Ou de la version incroyable du Mac Beth de Shakespeare (toujours préservée dans les archives de Télé-Liban) tournée dans d’immenses locaux presque vides et des extérieurs dépouillés, avec pour costumes des jeans, T-shirts et espadrilles, dans la plus pure tradition de Jersey Grotowski (le prince Igor) et de Jerome Robbins (West Side Story) et dans laquelle Mounir Abou Debs honora l’auteur de ces lignes en lui confiant l’immense responsabilité du rôle principal.

Dans toutes les manifestations internationales, de Paris à Berlin et de Moscou à Avignon, le théâtre Libanais polarisait l’attention de la critique étrangère et raflait les distinctions les plus prestigieuses, au grand désintéressement de l’état criminel, toujours trop absorbé à fouetter ses eternels chats pour s'occuper d'autre chose.

Le spectacle à l’aéroport international de Beyrouth, de la troupe de théâtre Libanaise qui rentra incognito, ignorée, démoralisée et presque la queue entre les jambes au début des années 1970, après avoir raflé le premier prix au festival international de Berlin , devant les Russes, les Américains, les Britanniques et tous les autres, avec la fantastique pièce d’avant-garde : ‘’Le Déluge’’, avait de quoi vous foutre la mort dans l’âme.

Pour une fois, et peut-être à cause du sujet qui me tient particulièrement à cœur, j’ai de la difficulté à clore cet article. Je vais donc laisser ce soin à mon très valeureux et très pur Nazim Hikmet, qui lui, déclame de vive voix, avec des mots simples, directs et presque naïfs, tout ce que le long de ce récit, je n’ai cessé de chuchoter.

Ibrahim Tyan.


Traître à la patrie

Oui, je suis traître à la patrie, si vous êtes patriotes, si vous êtes les défenseurs de cette patrie, je suis traître à la patrie,
je suis traître à la patrie

Si la patrie ce sont vos ranchs,
Si c'est tout ce qu'il y a dans vos caisses et sur vos carnets de chèques, la patrie
Si la patrie, c'est crever de faim le long des chaussées,
Si la patrie, c'est trembler de froid dehors comme un chien et se tordre de paludisme en été,
Si c'est boire notre sang écarlate dans vos usines, la patrie Si la patrie, ce sont les ongles de vos grands propriétaires terriens,
Si la patrie, c'est le catéchisme armé de lances, si la patrie, c'est la matraque de la police
Si ce sont vos crédits et vos rémunérations, la patrie
Si la patrie, ce sont les bases américaines, la bombe américaine, les canons de la flotte américaine
Si la patrie, c'est ne pas se délivrer de nos ténèbres pourries.
Alors je suis traître à la patrie.

Nazim Hikmet. (1902-1963)

* Visitez: Les carnets du Beyrouthin.

9 comments:

  1. Ibrahim, je commençais à m'inquiéter de ton mutisme ;)
    Merci de décrire le Beyrouth de mon enfance. Nous aussi, nous étions de fervents citadins. On louait un chalet au Beach Club à Khaldé avant la guerre. La seule fois qu'on avait estivé, c'était dans la demeure ancestrale de nos ancêtres Massaad à Achkout, Kesserouan, en 1968. Quel bonheur c'était de sillonner les routes du Haut et Bas Metn à bord de l'AMC Javelin modèle 1971 de mon père. Les forêts de pins parasol ombrageait les routes de montagne avant l'invasion du béton, et le chant des grillons y était si mélodieux! Époque révolue en effet, victime de la folie des hommes et de leur vanité.

    P.S. J'avais rencontré dans mon enfance Antoine Kerbage qui fréquentait le même gym que mon père: Silhouette à Hamra.

    Ibrahim, je parie que tu te rappelles de Sami Khayyat, alors je t'invite à visionner ce clip hilarant:
    http://www.youtube.com/watch?v=RKIRgRF-qdM&eurl=

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  2. Hello Kheir.

    Merci d’avoir pensé à moi ; mon ‘’mutisme’’ était tout simplement dû à une surcharge de travail.

    Comme je l’ai dit un jour à Frenchie, j’essaie désespérément de prendre ma retraite depuis bientôt un an, mais c’est le boulot qui ne veut pas me lâcher

    J’ai déjà vu la séquence de Sami Khayat que tu m’envoies au cours de l’émission de Marcel Ghanem (qu’en passant, je n’aime pas) à la LBC.

    Par contre j’adore Sami Khayat que je vois régulièrement sur scène depuis plus d’un quart de siècle. Avec sa femme, ils forment un duo absolument hilarant avec un humour très fin et très efficace qui n’est pas toujours apprécié par les Libanais d’aujourd’hui dont le goût très dégradé va désormais vers un style beaucoup plus lourd et vulgaire.

    HAPPY EID DEAN

    As-tu mangé des KELLAGES pendant ce Ramadan ?
    Moi, je n’aime pas particulièrement (comme touts les aliments frits), par contre J’ADORE le Baklawa de Ramadan qu’on appelle HADF.
    Certains amis musulmans m’ont en apporté durant ce mois de chez ARAYSSI. (Le meilleur)
    Je m’en suis régalé.

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  3. Bien que je ne jeûne pas (malédiction sur moi ;) j'ai mangé des kellages une seule fois cette année. Ma prochaine visite au Bohsali de Montréal aura pour objectif d'acheter un de ses plats de aïché e-saray. mmmm ou de la mafroukeh. Vraiment, c'est à l'étranger qu'on apprécie le plus la cuisine levantine. Car cuisine canadienne, il n'y en a point. À Montréal, trois sortes de cuisines sont en rivalité: l'italienne version nord américaine avec pasta, lasagne, pizza etc, la libanaise version fast food avec Shawarma, Shish tawouk falafel etc
    (je t'assure qu'il y a plus de restaurant libanais ici qu'au Liban et la japonaise avec Sushi etc... Ah j'oubliait aussi le junk food américain et quelques restaurants français.
    Bon, il est bientôt 6h du mat et je n'ai pas fermé l'oeil, il est vrai que je travaille de soir ce mois-ci.

    Bonne journée Ibrahim!

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  4. PS ça fait 15 ans que je n'ai pas mangé du Hadf, merci de me le rappeller ;)

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  5. Le ‘’Hadf’’ est un pur délice, surtout lorsqu’il est bien croustillant avec la couche supérieure de couleur brun-doré.

    Compare le raffinement exquis de cette pâtisserie avec les pâteux Jelly donuts.

    La vraie civilisation à jailli de chez nous mon ami, mais à un certain moment de l’histoire, la roue s’est arrêtée, puis s’est mise à tourner à l’envers…

    Mais ceci est une autre histoire, beaucoup trop longue à raconter.

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  6. Je viens de prendre 2kg rien qu'à vous lire ! Me reste plus qu'à enfourcher mon fidèle destrier et à aller pédaler (eh voui, c'est mon vélo suédois...) une heure ou deux !

    Ibrahim, tu as oublié de dire dans ton article que jadis, aucun artiste n'était consacré vedette (on ne parlait pas de star à tort et à travers) s'il n'était pas passé par Beyrouth...

    Vous souhaite à tous un bon dimanche, bisous à notre amphitryon,

    Sixt'

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  7. Hello Sixt’

    Ta Remarque sur la consécration obligatoire à Beyrouth pour tout artiste régional qui désirait naguère accéder au vedettariat n’est pas seulement judicieuse, mais elle démontre aussi une compréhension profonde de ce qu’étaient le pays, les valeurs et les critères de jadis.

    Merci de me l’avoir rappelé, mais surtout de la part des lecteurs.

    Tu seras toujours source d’étonnement et de ravissement pour moi chère Sixt’

    Bisous.

    Ibrahim.

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  9. Bonjour,
    Merci pour la discussion a propos de Bohsali de Montreal, j'ai trouve cette page en gouglant 'mafroukeh'. Je me demande si quelqu'un sait si Bohsali de Montreal a ferme vu que son telephone ne reponds plus. Ou s'il y a un autre patissier Libanais en Amerique du Nord qui fait la mafroukeh.
    Merci d'avance a ceux qui savent, et merci a Ibrahim pour le forum.
    J.

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