Tuesday, July 24, 2007

Main basse sur la ville.



La photo ci-dessus représente le quartier de Zeitouné d'avant-guerre au crépuscule. [Cliquez pour agrandir] L’immeuble Starco apparaît dans la photo, ainsi que la mer qui arrivait jusqu'aux remparts de la ville avant que les quais immenses de la Marina du grand bienfaiteur ne viennent la refouler bien loin. Ainsi que le gigantesque silo en béton érigé pour étouffer l’hôtel Saint Georges qui n’apparaît pas ici, mais qui bouche complètement l’horizon au promeneur.
Admirez aussi la belle balustrade de pierre de style Ottoman qui bordait l’avenue, et qui à été remplacée depuis par une barre de fer.


* * * *

La traversée du cœur de Beyrouth, ce ‘’Downtown’’ de sa nouvelle appellation populaire, et région de SOLIDERE, de sa désignation administrative et foncière, est un des périples les plus riches et les plus édifiants qu’il est donné à un mortel d’effectuer, à condition d’avoir les yeux ouverts et les pieds bien sur terre et non sur un nuage de fumée ou de fumisteries.

Dès 1976, le gros du travail de destruction du centre de Beyrouth et de sa transformation en un no man’s land qui divisait la capitale en deux tranches distinctes, Chrétienne et Musulmane avait déjà été accompli ; et les quelques rares périodes de répit advenus après cette date furent mis à profit par les bulldozers de l’homme d’argent venu du Sud pour achever de rendre irréparables les outrages des miliciens, toujours sous prétexte d’aide ‘’bénévole’’ de la part du ‘’grand bienfaiteur’’ qui s’est découvert une âme de Beyrouthin et une passion démesurée pour tout ce qui se rapporte à cette Ville-Aubaine dont la seule évocation suffisait désormais pour lui mouiller d’émotion les yeux et de convoitise les babines.

« Beyrouth aux Beyrouthins » fut l’un de ses slogans favoris, aujourd’hui repris à grand fracas médiatique par son cheikh de rejeton.

Pourtant à y penser sérieusement, cette devise absurde, rengorgeant le chauvinisme arrogant et la xénophobie, rejette ipso facto son titulaire aux racines Méridionales, ainsi que son Wahhabite de marmot, hors de l’égrégore éclectique des Beyrouthins de pure souche.

Avec la déchéance des villes mythiques de l’Est de la Méditerranée, comme Tyr, Sidon, Tripoli, Saint-Jean-D’acre et dernièrement la belle Alexandrie étouffée par le zèle Nationaliste Nassérien, Le dernier joyau resté presque intact était la ville de toutes les villes, et la perle de toutes les perles, Beyrouth l’incomparable qui coule dans mes veines avec mon sang, et que le Cheikh Wahhabite prétends aujourd’hui, chérir plus tendrement et en connaître l’intérêt mieux que moi.

Avec le déclin de la vague de nationalisme Arabe des années 1950/1960, une équation idiote et arbitraire prédomina dans le monde Arabe, et qui stipulait : Arabe = Musulman, aujourd’hui en passe d’être supplantée par une autre formule encore plus aberrante : Musulman = Sunnite.

Cette ligne de pensée [si on peut la qualifier comme telle], sera l’origine de ruine et de dégradation inimaginables dans le monde Arabe à tous les niveaux.

Aujourd’hui, un autre cliché, extrait de la même veine, est en passe d’être pernicieusement implanté dans l’inconscient Libanais : Beyrouthin = Sunnite.

Avec toutes les conséquences qu’une telle aliénation ignorantissime et ridicule peut entrainer.

Dans le Beyrouth d’avant 1975 que je connais intimement, se côtoyaient l’Européen, le juif Levantin, l’Arabe, le Turc, l’Arménien, le Kurde et le Persan. Tout l’Orient était représenté et personne ne pensait à différencier entre ces hommes à partir de leur race, fortune, confession ou idéologie.

Un bel exemple de cette union était une grande banque Française sur la place, où je fis mes débuts dans les années 1960, et dont le PDG était un Français, le directeur-adjoint un Chrétien Libanais, le sous-directeur auquel j’étais directement affilié, un Juif Libanais natif d’Alep, tandis que mon chef immédiat au service du crédit documentaire où je travaillais était un Musulman appartenant à une des plus vieilles familles Sunnites de Beyrouth.
Je n’oublierais jamais le banquet d’adieu donné en l’honneur de notre Directeur Français lorsqu’il reçut l’ordre de réintégrer Paris, suite à une sérieuse promotion qui le plaçait au sein du conseil général d’administration, et les larmes amères qu’il versa, lui d’habitude si réservé, en levant son verre et en déclarant d’une voix tremblante qu’il n’oublierait jamais ce beau pays où il passa avec sa famille les plus beaux jours de leur existence.

In Vino Veritas !

Mais Beyrouth fait aussi partie des choses qui méritent d’être pleurées.

Le cœur de Beyrouth était un plaisir pour les yeux. Deux cents ans d’histoire et d’architecture Méditerranéenne étaient encore préservés sur les façades d’immeubles qui rappelaient tour à tour Florence, Gêne, Marseille, Venise, Salonique et Istanbul. Un parfum de paradis fait des relents d’épices des anciens souks (voir : Ombres et visages), mêlé aux effluves de café avec ou sans cardamome renvoyé par les nombreux vieux cafés pittoresques, flottait sur ces lieux paradisiaques que l’urbanisme sauvage et la modernité exclusivement argentifère n’avait pas encore altérés.

Comme épargné des horreurs qui agitaient le monde extérieur, Beyrouth continuait à vivre de sa propre vie à son propre rythme, loin de la guerre froide, du conflit Israélo-arabe, des différends entre les régimes Arabes, mais surtout, inconscient du changement hideux advenu dans le monde Occidental qui à troqué entretemps son prestigieux héritage Gréco-romain fait de savoir et de lumière, contre une étroite identité Judéo-chrétienne, et d’un monde ‘’Islamique’’ livré de plus en plus aux mouvements extrémistes du ‘’Djihad’’, et du ‘’Takfir’’.

En ces temps-là, les Eglises, les Mosquées et les Synagogues (eh oui !) de Beyrouth représentaient véritablement une symbiose unique de cultures et de croyances différentes, les seuls critères en vigueur étant la famille, la profession, le quartier et l’amitié millénaire entre les différences.

Voila ce qui rendit les Beyrouthins aussi coriaces devant l’adversité, avec cette volonté stoïque de continuer à vivre comme si de rien n’était, attitude qui frisait parfois l’inconscience et l’absurde, et qui laissa le reste du Monde pantois.

Mais à défaut des canons de la guerre civile [incivile], c’est l’effritement économique qui finit par avoir raison de la farouche résistance de cette urbanité complexe et merveilleuse, face aux nouveaux requins de la finance, qui attendaient patiemment leur heure pour faire main basse sur la ville.

Un matraquage médiatique diaboliquement organisé à réussi à leurrer beaucoup de personnes de bonne volonté, surtout dans le rang des jeunes qui ignorent tout de ce Liban d’antan, suite à une désinformation systématique qui rejetait tout le blâme du drame Libanais sur les ‘’générations précédentes’’, et les nouveaux Barons de la Finance, les mêmes qui ont dépossédé les vieux Beyrouthins de leur ville par ruse et escroquerie, ou simplement par l’usage de la force, se parent aujourd’hui comme étant les représentants de la ‘’culture de la vie’’ et les seuls garants pour l’avenir du Liban.

De quel avenir parlent-ils donc ?

De celui des politiciens véreux, des miliciens et criminels de guerre ou des journalistes mercenaires ?

Ou serait-il celui des couches souterraines superposées d’histoire, éliminées à la dynamite du cœur même de Beyrouth, véritable assassinat de la mémoire, pour ériger à leur emplacement, des rêves factices climatisés de verre et d'acier ?

Ou serait-ce encore la mer, de plus en plus invisible sauf à partir des immeubles de luxe, et au mètre carré au prix du marché ?

Le centre ville qui séparait les deux Beyrouth au temps de la guerre est redevenu aujourd’hui une ligne de démarcation autrement plus humiliante puisqu’elle sépare désormais les riches des autres.

Et quelle culture professent-ils ?

Celle des bulldozers et de la dynamite ?

Ou celle de l’attaché-case bourré de dollars à blanchir, ou pour payer les bons et loyaux services de Fath-el-Islam ?


Ibrahim Tyan.

15 comments:

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  2. Mon cher Ibrahim,
    je rebondis sur ta dernière phrase pour te dire que bientôt des documments montreront au commun des mortels les ramifications de Fath el Islam ainsi que ses liens étroits avec des personnalités libanaises et orientales.
    On comprend dans ces conditions l'hostilité (locale et de certaines puissances) dirigée à l'encontre d'une armée libanaise délaissée pour compte.
    En ce qui concerne le centre ville, et avant que Hariri & Co ne puissent faire main basse (de bassesse) il fallait le ruiner et ruiner les espoirs des véribales propriétaires .

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  3. @ Arradon

    Mon Cher ami.

    Vivement ce jour dont tu parles, où les magouilles hypocrites de certains régimes ‘’frères’’ avec la complicité répugnante de certains Libanais seront exposés au grand jour.

    Mais je te parie qu’il y aura toujours des laquais et des valets dans la media qui s’évertueront à démontrer la fausseté de ces documents, en hurlant à la calomnie avec toute l’ardeur de la vertu offensée.

    Et chez les libanais, il y aura toujours des ignares pour les croire ou des complices pour leur faire écho.

    Dans un article publié 24 heures après le début de la bataille de Nahr-el-bared et intitulé : [L’entrée en scène d’Azraël]. J’avais exprimé mes craintes concernant le bourbier dans lequel on a délibérément empêtré notre armée, aujourd’hui comme tu le dis si bien : ‘’laissée pour compte’’.

    Quel mot terrible que tu as eu là mon ami, effrayant de justesse dans sa simplicité.

    Il est un proverbe Libanais rural un peu fruste qui dit : « Même un crachat, caché sous roche, sera découvert un jour »

    De même, j’espère que les Libanais aujourd’hui encore leurrés, découvriront bien un jour, ce que le ‘’grand bienfaiteur’’ et sa clique, firent de leur petit paradis.

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  4. vous me feriez presque regretter ce que je n'ai jamais vécu.

    Malheureusement, de tels regrets ne peuvent exister ainsi.

    Superbe billet, on voit le sentiment réel qui vous habites du début jusqu'à la fin.

    Cordialement

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  5. Merci pour votre appréciation mon cher Eagle.

    Je voulais surtout dire que le Liban d’avant-guerre représentait malgré ses lacunes certaines, une plateforme assez valable pour aboutir dans l’avenir à un Liban meilleur.

    Ce Liban à été brutalement rayé de l’existence par la guerre, puis par ceux qui ont habilement ou malhonnêtement réussi à traverser la tempête et à en profiter.

    Aujourd’hui, Le libéralisme économique et l'économie de marché font désormais la loi sur la place, et la quantité de richesse accumulée déterminera désormais le degré d'amitié et les règles très strictes de la différence.

    Une urbanité est morte ; du train où vont les choses, il n'est pas dit qu'une autre la remplacera.

    C’est surtout de l’avenir, NOTRE avenir à tous que je parle.

    Amitiés.

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  6. Ibrahim, as-tu vu toutes les photos que j'ai posté sur SkyscraperCity.com?

    http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=408084&page=7

    La photo de Zeitouné en 1974 en était une. Comme tu le sais sans doute, je partage ta nostalgie du Beyrouth d'avant-guerre. Je me rapelle qu'en 1978, j'avais éclaté en sanglots quand mon père m'avait emmené au centre-ville pour voir les destructions...

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  7. correction: la photo a été prise en 1973 car au fond, à droite, on peut voir le batiment de bureaux de l'Holiday Inn en construction et que le Hilton n'était pas encore sorti du sol...

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  8. Merci pour la correction mon cher kheir

    Cette photo m’a été envoyée par un ami qui partage mon ‘’spleen Beyrouthin’’ avec une lettre d’accompagnement qui en spécifiait l’époque.

    Mais je te fais plus confiance question dates, car je te sais méticuleux.

    Amitiés

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  9. Pour moi, Beyrouth=Libanais. Beyrouth est le lieu de rencontre des Libanais de toutes les confessions et de toutes les régions. Si Beyrouth ne l'avais pas été, elle serait restée une grosse bourgade, pas plus.
    Je parle de Beyrouth au féminin, comme en arabe, car Beyrouth est une femme sensible et généreuse.¸
    Sais-tu qu'il y a une rue Tyan à Bachoura, il parait que les Tyan étaient les voisins des Ahdab venus de Tripoli en 1860?

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  10. Non je ne le savais pas, mais cela flatte mon orgueil de Beyrouthin authentique.
    Il existe aussi un espace appelé ‘’Bouret-el-Tyan’’ aux confins d’Achrafieh.

    Feu mon père, qui occupa le poste Honorifique de doyen de la famille jusqu’à sa mort, me racontait que les Tyan étaient l’unique famille Maronite aux racines séculaires exclusivement Beyrouthines, chose de laquelle il n’était pas peu fier.

    Mais tout cela est bien fini maintenant, et comme je l’ai écrit à Frenchy :
    …une urbanité est morte, il n’est pas dit qu’une autre la remplacera.

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  11. Ibrahim, comment ça va? Qu'est-ce que tu nous mijote de nouveau? J'ai hâte à lire ton prochain billet! ;)

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  12. Monsieur Ibrahim (comme le film!)

    Le Beyrouth duquel vous avez decrit est certainement a l'image d'un Liban que certains aimeraient voir un jour avant leur mort.

    Sauf que ce jour est deja passe, et Liban, Beyrouth sont rentres en guerre pour les autres et avec eux, les intentions et les plans ne sont pas une affaire d'un commun des mortels comme moi.

    J'apprecie toujours de vous lire, mais je me dis qu'avez-vous laisser aux generations futures, ceux qui sont venus apres les annees 70?. Car je vous dis franchement, a Beyrouth, Achrafieh certainement, il y a comme un fleau de nostalgie qui touche une certaine factions d'un peuple vieillissant qui ne veut pas vivre le temps present aussi merdique qu'il soit et vous semblez etre l'une de ces personnes.
    Et la difference avec les seigneurs de guerre pas tellement, ils sont kitsch maintenant comme tout une societe dont les parents se souviennent et leurs enfants sont en route de se cocainiser. Comme ca Beyrouth sera plus reelle.


    En fait, la richesse existe toujours, sous une autre forme et plus extremiste, plus commercialisable. Soit accepter d'aller vers un horizon vide, soit rester a sa place, a Beyrouth.

    Cette image est pittoresque et ne reponds aux nouveaux changements d'une societe a la base schizo-paranoiaque comme la NOTRE.

    Merci d'insister toujours a precher ce Beyrouth, mais n'oubliez pas l'etat actuel des choses non sans charme. Car le peuple est le meme.
    Nous, et vous, cest-a-dire.

    Timbales Terroristes.

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  13. @ ANONYMOUS
    Timbales Terroristes.

    Merci pour votre intérêt, ainsi que pour le commentaire intelligent, délicieusement malicieux, que je ne peux qu’apprécier.

    Aussi, pour la lucidité espiègle et incisive dans l’analyse qui laisse à supposer une clairvoyance et une culture qui sortent du commun.

    Il est sûr que le mécanisme du temps ne fonctionne pas (jusqu’à nouvel ordre) à rebours ; au XVI ème, Michel-Ange avait suscité l’émerveillement de son temps en peignant le plafond de la Sixtine ; au XX ème, Andy Warhol fut considéré comme un génie pour avoir dessiné sur un morceau de toile une boite de soupe.

    Je ne crois pas – du moins je m’y efforce – être un homme qui vit dans le passé [c’est trop de facilité], aussi j’espère sincèrement que cette richesse dont vous parlez existe encore, j’en sauterais d’allégresse.

    Comme ça, on n’aurait pas déraciné l’arbre centenaire pour en planter à la place un radis dont on attend des miracles.

    Cependant, vous m’accorderiez bien une faiblesse : Je pense souvent à ce que le Liban aurait pu devenir si son élan n’avait pas été coupé net (par ‘’eux’’, par ‘’nous’’ par ‘’tous’’ ?!?) , sacrifié afin que vive Israël.

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  14. @ Kheir

    Rien dans la marmite. Je viens de rentrer aujourd’hui à midi, d’un court déplacement de travail qui m’avait conduit les quelques jours passés hors de Beyrouth.

    Mais j’avais hâte de rentrer car je n’aurais pas raté le week-end à venir pour un empire.

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  15. Cher Monsieur,

    Je viens de terminer, pour remplir une commande, des recherches sur votre ville dont j'ignorais tout jusque-là, étant d'un autre monde.

    Je suis éblouie par votre énergie, vos souvenirs, votre espoir, et votre écriture. J'aurais voulu visiter cette ville qui n'est plus aujourd'hui. Je partage votre deuil.

    Je viens d'une culture qui est en train de mourir, engloutie par le Géant qui malgré les apparences supporte mal les différences. Mais vous lisant, et comprenant mieux votre situation actuelle, je suis gênée par notre paresse et nos craintes, celles qui nous feront disparaître, sans violence, insidieusement.

    Je trace sans doute des parallèles sans grande pertinence, puisque notre situation en apparence si paisible n'a à première vue rien de commun avec la vôtre. Mais voilà. Mes pensées sur le sujet. Nous partageons certainement avec vous l'envie de voir cohabiter dans la paix de nombreuses cultures comme c'est encore possible aujourd'hui dans notre métropole. Mais notre peuple a tout oublié. Cette amnésie et notre paresse nous conduit à appuyer des pays dangereux.

    Je salue votre courage et vos idées.

    Bien cordialement, et humblement,

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