Monday, May 28, 2007

Les assassins de la mémoire.



Récemment, au cours d’un de mes fréquents voyages aux Etats-Unis, j’ai été un soir pour dîner avec des amis, dans un vieux restaurant situé dans la bourgade romantique du Hoboken de New Jersey, sur la rive ouest de l’Hudson, face à Manhattan.

Entre les huitres vapeur et le homard au beurre-citron, arrosés d’un surprenant blanc sec de Californie, je contemplais l’ancien portrait dédicacé de Sinclair Lewis qui me toisait du haut de sa morgue toute en sépia, sur les lambris en vieux chêne du mur d’en face, en me ressassant une de ses citations qui m’était restée sur la mémoire : « Lorsque le fascisme atteindra l’Amérique, il viendra drapé de la bannière étoilée, et brandirait de sa main une gigantesque croix ».

Savez-vous Abe que vous êtes assis sur ce qui était le siège favori de Bogie ? (Humphrey Bogart), me lança jovialement mon ami Américain, me ramenant ainsi brusquement à la réalité.

A cela, le maitre d’hôtel affable qui nous servait rétorqua en s’adressant à ma femme : Et vous M’am sur celui de Lauren Bacall.

Le meilleur était que tout cela s’avéra rigoureusement authentique.

* * * *

La plus grande preuve d’être un cinéphile averti est peut-être le fait de n’avoir pratiquement plus mis les pieds dans une salle de cinéma depuis quinze ans, ou dans une salle de ciné-club depuis au moins un quart de siècle.

Or, il est une pensée exprimée par mon très vénéré Luis Buñuel qui signifie que même dans le plus pitoyable des navets cinématographiques, il existe toujours quelques secondes, nées à l’insu du réalisateur médiocre, qui frisent le sublime. Théorie dont j’ai eu souvent l’occasion d’en vérifier la justesse.

Un exemple frappant est présent dans le navet Hollywoodien tourné en 1973 et intitulé : The Exorcist, qui obtint à l’époque un succès colossal.

Dans une scène vers la fin du film, le révérend Merrin, vieux prêtre catholique, (interprété par l’excellent Max Von Sydow), exorciseur de sa spécialité, gravement malade et miné par la lutte qu’il mena toute sa vie contre le ‘’Malin’’, reçoit alors qu’il effectuait péniblement sa promenade quotidienne dans un bois environnant, un câble de son évêque le réclamant de toute urgence.

Vint alors la scène sublime qui dure moins de dix secondes et rachète à elle seule, les deux heures d’inepties qui constituent le film.

Après avoir remis le message dans sa poche et ôté ses lunettes, le prêtre, filmé de dos, continue sa promenade dans les bois. Un plan moyen furtif nous le montre en quart de profil, observant la nature radieuse autour de lui dans une sorte d’adieu silencieux, comme s’il était déjà conscient de la nature du combat qui l’attendait, et qu’il y laisserait la peau, vainqueur en sortirait-il ou vaincu.

C’est donc un peu à la manière du révérend Merrin que je regardais mon Beyrouth défiler sous mes yeux en cette Radieuse journée de Mai.

Adieu mon Beyrouth adoré, tu as combattu toute la nuit comme la belle chèvre blanche immortalisée par Alphonse Daudet mais déjà l’aube pointe et avec elle, les flammes dévorantes du soleil Satanique d’Al Quaeda…

Et mes sens que j’affutais de toutes mes forces essayaient de capturer le maximum d’images, de sons et d’odeurs de cette ville qui m’était devenue à moitié étrangère depuis que la guerre me l’a défigurée et que les tracteurs cannibales de SOLIDERE, insatiables rapaces, ont achevé de me la métamorphoser en un amas de bâtisses sans âme, de places vides et de quartiers artificiels et figés.

Momifiés comme ce Liban monstrueux et pitoyable, semblable à la créature du Dr. Frankenstein qu’ils ont créé à partir de leur avidité criminelle et de leurs chimères.

Le rappel d'un souvenir est un phénomène élaboré. L'activation des souvenirs, volontaire ou non, fait souvent appel à des facteurs externes (objets, endroits, personnes, etc.), qui vont travailler grâce aux indices de l'encodage dans l’inconscient pour rendre un souvenir facile à retrouver.

Voila pourquoi je ne pourrais finalement emporter avec moi que les images du soleil, de la lune, et de la mer d’Ain-el-Mraisseh ; mes autres souvenirs de jeunesse, mes places, mes jardins, mes rues et mes gens, s’étant estompés depuis si longtemps que j’en suis heureux d’avoir écrit « Ombres et visages » avant que leurs images ne désertent à jamais ma mémoire.

This is the end, beautiful friend
This is the end, my only friend
The end of our elaborate plans
The end of ev'rything that stands
The end


Jim Morrison.

* * * *

Lorsque Moussa m’apporta mon café, il y avait quelque chose d’incertain dans son attitude. Enfin il se décida :

- Oustaz, que pensez-vous de la situation actuelle ? me lança-t-il sur un ton qui se voulait anodin.

Je lui souris sans plus, ce qui acheva de le décontenancer.

- As-tu des nouvelles du Hajj ? Lui demandais-je.

- Il vient de téléphoner il y a deux jours, il va très bien.

Puis prenant son courage à deux mains il se décida.

- Excusez-moi ya oustaz, mais seriez-vous Sayyed Ibrahim par hasard ?

Pourquoi donc cette question ne m’a laissé qu’à moitié étonné ?

A mon acquiescement, Moussa rentra dans le petit kiosque et en ressortit avec un objet minuscule qu’il me remit.

- Le Hajj nous as communiqués votre nom ainsi que votre signalement lors de son dernier coup de fil et nous as demandés de vous remettre ceci.

Je regardais l’objet, maintenant dans ma paume ouverte.

C’était un mince petit livret d’à peine 5x5 cm. Qui avait pour titre ‘ Al Housn al Hassin ‘ littéralement : « la forteresse imprenable ».
Dedans étaient inscrits les quatre-vingt-dix-neuf noms sacrés de Dieu ainsi que des extraits du Coran, traditionnellement supposés porter chance et préserver du malheur.

La voix de Moussa me parvint comme à travers un écran d’ouate.

- Le Hajj m’a chargé de vous dire que c’était pour IBLISS…il à dit que vous comprendriez…

- Le mille fois damné, m’entendis-je murmurer d’une voix sourde

A celà Moussa me fit écho avec grande conviction.

- Le dix-mille fois damné !


Ibrahim Tyan.

* PS. J’ai longtemps réfléchi de ce que j’en ferais du livret ‘sacré’ d’Abou Ragheb.

Que je le porte sur moi est impensable pour des questions de principe.
Que je le néglige dans un tiroir est une solution aussi inacceptable parce qu’il m’était trop cher.

Alors je me suis rappelé que je possédais dans ma bibliothèque personnelle un splendide Coran qui m’avait été offert dans le temps par Cheikh Soubhi Saleh, avec lequel je m’étais lié d’amitié au début des années 1980, malgré les différences d’âge, de rang et de milieu.

La plus haute référence Islamique du pays, Cheikh Soubhi était aussi docteur ès lettres de la Sorbonne et ami personnel du réalisateur Roberto Rossellini, père du néo réalisme Italien.

L’appréciation mutuelle que tous deux portions pour les beaux livres, les belles lettres et les belles femmes, scella notre amitié.

Je me souviens d’avoir pleuré lorsque j’appris son assassinat en 1986 par des tueurs à gages du PPS ou des Moukhabarats Syriennes ! ? ! Qu’importe…

Bref, j’ai ouvert ce Coran et j’y ai enfermé entre ses pages merveilleusement enluminées le modeste petit fascicule d’Abou Ragheb.

Ainsi donc, l'illustre mort veillera sur le modeste vivant.

Une idée que je pense, ne déplairait pas au Hajj.

I.T.

7 comments:

  1. Hey bien ...

    sur un air d'apocalypse now de jim morrisson, al qaida entrant en scène dans le billet suivant,

    Les damnés du coran ...

    le silence pour tout ce billet et d'or avec une révérence dans laquelle je porte hommage à votre clavier à défaut d'une une plme

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  2. Rep. pour Eagle.

    Thank you kindly my friend.

    L’écriture de votre commentaire, qui diffère de votre style habituel est en elle-même un hommage que je ne mérite pas et qui me remplit de joie et d’humilité.

    C’est en pensant à des lecteurs comme vous que j’essaie à chaque reprise de lever la barre un peu plus haut.

    Amitiés
    Ibrahim.

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  3. Je visite ton blog intéressant depuis assez longtemps et j’aime beaucoup ton style, vous donnez le vertige le lecteur et de le transporter dans la lune. Mais je vois aussi beaucoup de violence cachée derrière vos mots et aussi de mépris et ton texte devient méchant. La vie est belle aime la elle t’aimera.
    Miriam

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  4. Oui oui oui ; tu as sans doute raison.

    Faut que j’m’y mette sérieusement…

    …au fait, tu fais quoi ce soir ?

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  5. Bien que je ne partage pas certaines des vos opinions, je rends hommage à votre liberté d'esprit. Certainement, vous êtes un non-conformiste comme moi. C'est dur de l'être au Liban, où ont est automatiquement catalogué d'après son appartenance religieuse et partisane et sociale. Je suis un libanais de Montréal et je ne peux que déplorer que les mêmes réflexes existent dans la communauté libanaise qui est extrêmement divisée.

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  6. Mr. Kheireddine El-Ahdab.

    Cher Monsieur,

    Merci pour votre visite sur mon site ainsi que votre appréciation.

    Aussi pour votre commentaire qui, malgré certaines divergences d’opinion entre nous, comme vous le dites, ne peut être issu que par une personne cultivée et évoluée.

    Vous avez mentionné dans votre message deux termes importants : la liberté et le non-conformisme. Je pense personnellement que ces deux attributs à eux seuls peuvent en cas de leur disponibilité chez deux personnes pourtant d’opinions différentes, aplanir bien d’obstacles.

    Je suis très attristé par le fait que les Libanais soient aussi divisés à l’étranger qu’ils le sont chez eux, mais c’était à prévoir car le virus injecté depuis longtemps dans l’organisme Libanais est le plus violent et le plus mortel qui puisse exister.

    J’en ai écrit un article il n’y a pas de cela très longtemps intitulé : ''Les racines du mal'', et dont je vous fournis ici le début :

    ‘’En 1609, le roi James Premier d’Angleterre, souleva le couvercle de la boite de Pandore en découvrant la facilité déconcertante avec laquelle on peut semer la division parmi les rangs d’une population unie, rien qu’en attisant ses différends religieux. Le malheureux peuple Irlandais en fit la triste expérience durant quatre longs siècles de sang et de douleur.’’

    Vous trouverez le reste sur le site si votre temps vous le permet.

    En vous remerciant encore une fois pour votre visite et vos bonnes paroles, veuillez agréer cher Monsieur l’expression de mes sentiments,

    Les meilleurs.

    Ibrahim Tyan.

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  7. Hello Ibrahim,
    juste te faire un petit coucou.
    J'ai l'impressionque l'inspirationmanque cruellement, du moins pour moi, :)
    Merci pour ton petit mot en réponse à Lebnen, mon modeste blog à une co-auteur, qui laisse de temps à autre des messages.
    A très bientôt l'ami.

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