Monday, March 16, 2009

LE LIVRE, LE CIERGE ET LE GLAS,










OU L'ARME DIVINE ABSOLUE.













A la mémoire de Jean Ray, Edgar Poe, H.P. Lovecraft, J.K. Huysmans et toute la pléiade des suppôts de Satan dont les chroniques sulfureuses firent les délices de ma prime jeunesse ; cette première partie est dédiée.

Au dehors, une cruelle bise glaciale hurlait a la mort sur la colline sacrée, entre les branches pétrifiées des arbres centenaires, et la lueur mourante en ce début d’après-midi d’un vendredi morose et blafard, n’éclairait guère le chemin brumeux qui sinuait jusqu’au vieux portail séculaire de la chapelle patriarcale.

A l’intérieur, une épaisse pénombre a peine tempérée par la lumière sépulcrale filtrée a travers d’anciens vitraux ternis, enveloppait d’un lourd manteau d’ombre et de silence la nef, la voûte et le chœur où se dressait l'autel central au crucifix voilé d’un épais suaire noir comme aux jours de grande détresse.

Debout sous les lustres éteints, le dos tourné a l’autel, six prélats vêtus de bure, cagoule rabattue et portant chacun un long cierge allumé, entouraient sa sainteté posté devant un guéridon sur lequel clignotait un cierge et un épais livre parcheminé ouvert.

Point d’encens, ni de lumière pour accompagner cette étrange cérémonie, et encore moins d’auditoire ; juste une sourde litanie psalmodiée dans une langue morte par des hommes sans visage, a la lueur fantomale des cierges.

Le silence de catacombe qui suivit la fin du lancinant mantra pesa pendant d’interminables minutes, avant d’être brutalement déchiré par le timbre à la fois fluet et perçant de sa sainteté qui égrena sans préambule ni préliminaires, les trois noms :

- Celui du séditieux ex-général des armées du Roy, rentré au royaume après un long exil au pays des Francs.

- Celui du jeune et iconoclaste Duc du Nord, descendant d’une lignée royale déchue.

- Et celui du fielleux magistrat-écrivain et orateur, aisément reconnaissable tant par l’acerbité de la langue que par la brillance de la calvitie.

Livide et contracté, sa sainteté enchaina néanmoins avec une détermination farouche, appuyant fermement sur chaque syllabe de la terrible invocation, avec un ton qui montait en crescendo jusqu'à l’atteinte d’une stridence quasi insoutenable :

« Nous les excluons du sein notre sainte mère l’église, et les jugeons condamnables au feu eternel avec Satan, ses anges, et tous les réprouvés, tant qu’ils n’auront brisé les fers du démon, fait pénitence, et rendu satisfaction à l’église »

Arrivé a ce stade, sa sainteté souleva le livre de la vie posé grand ouvert devant lui, et le referma avec tant de violence que l’écho s’en répercuta a travers nef, chœur et absides, tel une balle de grâce tirée a bout portant sur la tempe d’un condamné.

Ensuite il souleva de son socle le cierge allumé, le retourna prestement, et en écrasa la flamme sur les dalles de l’église avant de le rejeter d’un geste expiatoire et rageur ; suivant son exemple, les six cagoulards postés derrière lui, retournèrent leurs cierges a l’unisson et les éteignirent sur le sol avant de les envoyer rouler sur les marches de l’autel.

A cet instant précis et alors que le son lugubre du glas se faisait entendre au dehors en synchronisation parfaite avec l’achèvement du rituel excommunicatoire, une bourrasque d’une rare violence, forçant grandes ouvertes les portes de la chapelle, s’y engouffra avec une sauvagerie inouïe, renversant sur son passage bancs, icones et statuettes, soulevant du même coup les robes des cagoulards qui s’empressèrent de battre en retraite, leurs longs caleçons blancs mis a découvert ; et sa sainteté qui dans un dernier sursaut, réussit a clamer d’une voix terrible : VADE RETRO SATANAS, avant de s'écrouler évanoui sous les lustres qui virevoltaient d’une folle sarabande.

Au dehors, la tête courbée devant l’orage, le sonneur, borgne et bossu selon la plus pure des traditions, ahanait a tirer obstinément sur la corde comme le damné qu’il était.

* * * *

A la mémoire du très cher et très regretté Luis Buñuel, cette deuxième partie est dédiée avec une grande humilité.

Bien engoncé au fond du siège arrière moelleux de sa limousine-salon dont l’intérieur sentait bon le cigare, l’eau de cologne et le cuir de luxe, son excellence n’était point mecontente d’avoir échappé au dîner a la colline sacrée, annulé pour permettre a sa sainteté de se remettre des séquelles d’un malaise heureusement passager.

En vérité son excellence qui n’a jamais porté sa sainteté dans le coeur, méprisait intérieurement les modestes origines rurales de ce dernier, déplorait son manque flagrant en finesse et en subtilité, et détestait franchement son ascétisme irritant d’octogénaire circonspect, sa table frugale et peu ragoûtante, son immense bicoque remplie de courants d’air, et présentement cette absurde cérémonie d’excommunication a laquelle il dut s’exécuter de mauvaise grâce, de même que cinq autres évêques semblablement contrariés.

Ayant extirpé de la poche intérieure de son élégant manteau en haute laine doublé d’Astrakan une fiasque argentée de laquelle il éclusa une bonne rasade de pur V.S.O.P, Monseigneur pria le chauffeur de baisser les stores électriques lors de son passage au beau milieu des bidonvilles qui faisaient pourtant partie intégrante de son diocèse.

Sale histoire quand-même que cette affaire d’excommunication fulmina-t-il en allumant son cigare d’un briquet plaqué or massif et frappé des armes de son excellence.

Comment traiter à présent des conséquences de l’expulsion de ces personnages hors de leur secte, alors tous les pronostics les y donnent confortablement vainqueurs aux législatives prochaines, sans pour cela tomber dans un chaos monstre sur le plan juridique, civique, social, personnel et religieux ; sans compter la menace d’un schisme fatal entre La majorité des Maronites et leur église; sinon une vague massive d’irréligion chez les Chrétiens restants dont les rangs s’amenuisent sans cesse ?

L’arrivée a la grille imposante de la somptueuse demeure épiscopale arracha son excellence a ses noires réflexions pour lui rappeler qu’il recevait ce soir des invités de marque (qu’il s’était empressé de contacter dès l’annulation du ‘’banquet’’ patriarcal), dont notamment un éminent cardinal de passage sur lequel le charme, la classe et l’érudition de son excellence (qui maitrise la langue de Dante a faire pâlir d’envie un Gabriele d’Annunzio), opérèrent si bien qu’il en devint d’emblée l’ami, voire l’allié a la cour papale.

Assis au milieu du confort luxueux de son bureau-bibliothèque aux murs recouverts de tableaux de maître et d’éditions rares, son excellence se versa un verre de sherry avant de sonner son majordome qui apparut comme par enchantement, preste, compassé et obséquieux. Son excellence dicta ses ordres : Lui faire couler un bain chaud, convoquer son masseur, lui sortir la tenue de soirée qu’il rapporta de Savile Row lors son récent séjour a Londres, et finalement de lui communiquer le menu du dîner.
Cette dernière requête étant prête, le larbin sortit du mince cartable qu’il portait sous le bras une liste de deux feuillets qu’il remit cérémonieusement à son excellence, qui chaussa son pince-nez doré avant d’y lire :

SALADES et ENTRÉES.

Salade panachée.
Salade verte.
Salade saison.
Gaspacho façon Madrid.
Pointes d’asperges sauce citron – moutarde ou vinaigrette
Champignons de Paris au four.
Cuisses de grenouilles à l’ail et coriandre.
Filets d’anchois aux câpres à l’Espagnole.
Filets de sardines marinés à la Portugaise.
Thon en Sushi façon Kyoto.
Assortiment d’huitres fraiches sur glace
Tourte d’esturgeon et caviar a la Saint-Pétersbourg.
Truffes au Champagne.

PLATS PRINCIPAUX.

Truites au Champagne
Filets de bar grillés sauce Italienne.
Loup de mer au sel.
Riz aux crevettes et petits légumes,
Buisson d’écrevisses a la Paul Bocuse.
Pâté de saumon d'Ecosse.
Homard royal.

FRUITS ET DESSERTS.

Fraises à l’Italienne au sucre-citron.
Ananas au kirsch a la Bavaroise.
Pommes- poires- pêches- abricots en compote.
Mandarines givrées a la Parisienne.
Sorbets divers aux fruits.
Corbeille de fruits exotiques.

Le deuxième feuillet comprenait une liste éclectique de vins, notamment des blancs de France, d’Italie et du Rhin ainsi que quelques champagnes prestigieux.

Avec un hum…hum approbateur, son excellence dont les petits yeux espiègles pétillaient de satisfaction contenue s’adressa négligemment au factotum toujours en garde a vous :

_ Je constate avec plaisir que le fait qu'on soit en plein mois de carême, et de surplus un vendredi, n’a point échappé a la sagacité ni au savoir-faire de notre maître-cuisinier...

...Chair maigre et point de gras, légumes, céréales et fruits ; en voici-là un menu de jeûne irréprochable qui ne manquera pas d’impressionner favorablement son Eminence...

...Congratulez donc le chef de ma part et dites-lui que Monseigneur est content de lui.

Ibrahim Tyan.

8 comments:

  1. certains dignitaires et autres religieux se reconnaîtront.. mais ne sommes-nous pas tous un peu concernés en définitive ? n'y a t-il pas souvent un fossé entre nos idées que nous défendons bec et ongle et nos comportements ?
    Tout ceci me fait penser à des remarques incisives d'une religieuse libanaise, membre d'une congrégation étrangère, qui lors de mon séjour dans votre pays, regrettait le peu de solidarité entre frères et soeurs d'une même religion. Le prêtre maronite qui venait célébrer la messe dans son école et se faisait payer (ce qui m'a quelque peu surprise)paraissait être bien loin des idéaux de pauvreté vécus dans le silence et l'abnégation par le Saint Marron dont ils se réclament.

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  2. Hello CHRISREUNION.

    ‘’La solidarité’’ que vous semblez souhaiter dans votre commentaire ‘’entre frères et sœurs d’une même religion’’ est a mon humble avis un des principaux facteurs de sape d’une union nationale tant au Liban qu’ailleurs.

    Tout comme vous, je déplore le fait que le clergé, (a n’importe quelle religion appartiendrait-il), ait été depuis toujours une organisation a but essentiellement lucratif ; mais ceci demeure un reproche relativement secondaire devant l’exploitation systématique de la crainte métaphysique inconsciente et fondamentale chez les gens simples, pour mieux manipuler et contrôler leurs orientations sociopolitiques.

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  3. Pas tout à fait d'accord..j'entendais hier Régis Debray parler de ce qui unit les hommes. Ils ne peuvent être unis, disait-il que par quelque chose qui les dépasse,ce qu'il appelle le sacré. Ne confondons pas religiosité et religion, disait-il.
    La manipulation que vous évoquez fait à mon avis partie de la religiosité.

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  4. Quoique cela n’a apparemment rien a voir avec notre sujet, Régis Debray déplore dans ses écrits les plus récents que je connais, le transfert systématique vers la droite de la classe politique Française, tout en se félicitant de la disparition du messianisme des années 1960…ceci dit pour situer la position actuelle de celui qui fut jadis un compadre du ‘’Che’’.

    Pour ma part chère Chris, religiosité et religion sont synonymes à quelques nuances linguistiques négligeables.

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  5. Lire le dernier livre de Régis Debray "Le moment fraternité"

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  6. :)))))))), Chère, Chris…

    Merci quand même pour le tuyau.

    A mon tour de vous recommander (si votre temps vous le permet bien sûr) de revoir, rien que pour son titre, l’avant–dernier billet sur ce blog intitulé : LE PÈRE NOËL EST UN ENCULÉ.

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  7. Mais vous n'avez pas "que" Nabokov, Proust, Kafka et Joyce dans votre panthéon. Voilà qu'on y trouve du Poe, Ph K Dick, plus surprenant, et ce fou génial de Huysman... De quoi écrire une "ardoise" façon Philippe Djian. Je vous y encourage. En tout cas je m'engage à le faire publier une fois que tous les éditeurs seront à mes pieds suite à mon goncourt du premier roman ;-)

    Portez vous bien

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  8. Qui ne connait pas ses classiques est incapable d’innovation…

    Goncourt ou pas, comptez sur moi cher Cédric pour contribuer activement à nantir votre roman attendu, d’une promotion monstre ;-)

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