Wednesday, November 5, 2008

Vue d'Aïn-el-Mraïsseh.



The woods are lovely, dark and deep,
But I have promises to keep,
And miles to go before I sleep,
And miles to go before I sleep.


_ Robert Lee Frost 1874-1963.

* * * *

Le phénomène souvent inexpliqué de l’emprise exercée sur certains esprits par des lieux ou des choses, a rarement été mieux transcrit que par Marcel Proust lorsqu’il retraça dans son œuvre autobiographique monumentale, l’émotion extraordinaire ressentie par l’écrivain Bergotte a la vision d’un petit pan de mur jaune sur la célèbre toile ‘’Vue de Delft’’ de Vermeer, et les conséquences bouleversantes qui lui en découlèrent.

Or il est une minuscule parcelle de la corniche d’Aïn-el-Mraïsseh, et un petit banc de pierre face a la mer, miraculeusement épargnés par les esthètes de la ‘’renaissance’’ postiche qui défigura Beyrouth dès la dernière décennie du siècle passé, et qui semblent receler un portail occulte vers une autre dimension.

Que de fois n’y ais-je ressenti les signes annonciateurs, en une variation subtile mais perceptible des vibrations de l’air, de la lumière et des sons, tout seul assis face a un bleu soudain inconnu, qui émerveilla d’autres yeux au cours d’un énigmatique autrefois.

Et la place frémissante sous la splendeur d’un soleil d’antan, vibrante d’un rythme tendre et alangui ; et les voix des rares passants au lointain qui m’arrivaient en sourdine et comme à retardement, mêlés au doux chuchotement de l’éternité azuréenne.

Instants rares et privilégiés, las, désormais tronqués et comme ébréchés, depuis que je ne me considère plus de ce Beyrouth, ni lui de moi.

Certes qu’Aïn-el-Mraïsseh ne sera pas délaissé pour autant, ni le petit carré magique dont la garde des sceaux me fut confiée par ce qui ne concerne que moi ; mais une page a été définitivement tournée, et l’image de l’adorant inconditionnel volant a la rencontre de son adorée s’est définitivement estompée, pour faire place a celle du vieil épicurien salace se rendant en pleine connaissance de cause chez une courtisane expérimentée, sachant parfaitement ce qu’il désire s’elle, et elle de lui.

Faut vivre avec son temps.

Et avec l’effrayante nullité de la plupart des personnages au pouvoir dans le monde d’aujourd’hui.

Tout en remerciant le destin pour l’échec de l’opération qui emmena l’esquimaude crétine et béotienne à délaisser son igloo de l’Alaska pour se rallier au vieillard WASP, prostatique et a moitié sénile, dans le but de réinstaurer dans le pays le plus puissant de l’histoire, un pouvoir a leur image qui aurait décidé de votre sort et du mien.

Le temps est donc à la célébration et aux réjouissances.

Mais le premier moment d’euphorie passé, la coulée de lave incandescente et toujours mouvante qu’est le désastre économique national duquel hérite le premier président ‘’coloré’’ des Etats-Unis qui marque de sa jeune et courageuse persona la fin de l’ère ploutocratique Reaganienne, risque d’être beaucoup trop importante et maléfique pour pouvoir être encore endiguée avec succès, et tant que personne n’ose (ou ne veut) prononcer dans le pays des lobbys, trusts et cartels, le terme blasphématoire de ‘’Socialisme Démocratique’’ qui aurait dû être en premier lieu la doctrine de base de la nation Américaine, et de brûler en autodafé l’effigie d’Adam Smith Esquire, plutôt que d’arnaquer le reste de la planète pour raviver un système corrompu et agonisant.

Aussi, faut-il compter avec l’Amérique rurale et profonde qui recèle les forces vives et réelles de la nation (plutôt que la surabondance factice de Wall-Street), et qui demeure idéologiquement ‘’confédéraliste’’ et sauvagement réfractaire a l’idée d’un ‘’Nigger’’ au siège de la plus haute autorité nationale.

Il faut avoir connu de très prés la société Américaine pour se rendre compte du péril immense qui menace aujourd’hui ce pays, et ce nouveau président qui risque en cas d’échec de sa politique économique, de réveiller d’un seul coup tous les démons de l’Amérique Ku-Klux-Klan, jusqu'au point de revoir la nation scindée en deux comme en 1861 ; et ce ne sont point là des paroles mâchées.

3nathalfan

Reste la délectation réelle que j’eus a observer le désarroi a peine voilé sur les chaines TV câblées du Golfe, et les frimes allongées des commentateurs bédouins qui s’efforçaient de minimiser la défaite cuisante de ''leur'' candidat néo-cons, a leur audience de cons.

Entretemps les centrifugeuses Iraniennes dont chaque rotation de chicane nous rapproche inexorablement vers l’inconnu, continuent de tourner allégrement à plein régime…

Ibrahim Tyan.

* Visitez « Les carnets du Beyrouthin ».

3 comments:

  1. Ahlan wa sahlan Ibrahim,

    Votre vue d'Aïn-el-Mraïsseh rappelle ces mots de Claude Lévi-Strauss qui se lamente que "l'aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanaisienne avant même d'en pouvoir détruire la virginité" (in "Tristes tropiques") La même bêtise universelle de l'homme pour affliger des parties du globe si éloignées...

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  2. Ahlan Fik Cédric

    Et merci pour la finesse du commentaire ; mais aussi pour le rapprochement que je ne mérite certes pas.

    Lévi-Strauss fut a son époque une découverte capitale pour moi ; mais c’est maintenant que je saisis pleinement ce qu’il entendait en décrivant l'arrogante civilisation occidentale qui ne semble amener partout que guerre et désolation, provoquant l'extinction de nombreuses peuplades « primitives » et dévastant l'écosystème.

    En réfléchissant aujourd’hui aux solutions proposées par le bloc Occidental pour remédier au désastre économique mondial ainsi qu’au fléau du terrorisme, une phrase de Samuel Beckett me saute aux yeux : ‘’ Voilà l’homme entier s’en prenant a sa chaussure alors que c’est son pied le coupable.’’

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  3. Cher Ibrahim,

    J'ai ajouté quelque photos d'endroits que tu connais bien :)
    http://www.skyscrapercity.com/showthread.php?t=408084&page=54

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