Sunday, October 26, 2008

Une matinée à Aïn-el-Mraïsseh.


Un essaim bigarré de personnages affairés et surchargés, s’agitait dans un bourdonnement continuel fait de vociférations, jurons, rires et interjections, dans un carré délimité par des rubans jaunes pareils à ceux de la P.J. pour circonscrire le théâtre d’un crime, face au bleu immémorial d’Aïn-el-Mraïsseh qui frissonnait langoureusement avec le premier vent qui passait indifférent ; nonchalant.

Juché sur un minuscule siège a traveling derrière une camera 35 mm d’ancien modèle, un individu bedonnant entre deux âges, n’en finissait pas de troubler a travers son porte-voix, la quiétude de la corniche en cette belle matinée ensoleillée d’Octobre.

A le voir s’agiter de la sorte a l’intérieur de son territoire fermé, on aurait cru William Wyler réglant les derniers détails de la course de chars de Ben-Hur.

Pour ceux dont le cortex épais ne l’aurait pas encore détecté, je venais de déboucher en cette tranquille et radieuse journée automnale d’Aïn-el-Mraïsseh, sur une pleine séance de tournage d’un vidéo-clip ‘’musical’’ avec pour vedette une des ‘’reines’’ du ‘’music-hall’’ Libanais, qui encapsule dans chaque sinuosité de sa voluptueuse persona, l’objet de la fureur libidineuse de tous les boucs en rut, du Golfe jusqu’à l’Océan :

من ألمحيط ألهادر ألى ألخليج ألثائر

Debout derrière les quelques badauds attroupés, j’appréciais la grâce de la belle vêtue d’une djellaba noire, la tête ceinte d’un bandeau de la même couleur enguirlandé de piécettes en cuivre jaune dans le plus pur style des paysannes (Fellahas) Egyptiennes, et trouvais que cette tenue austère allait a merveille avec l’agressive beauté de la biquette, surtout qu’elle était agrémentée de l’inévitable châle (ici en soie rose), savamment noué autour de ses hanches, de façon a mettre en valeur un background digne de toutes les considérations ; tout en déplorant le port par la minette d’élégants escarpins vernis a talons ultra-hauts, alors qu’un mignon pied nu, et une cheville arborant le sacro-saint bracelet a breloques (khilkhal) aurait constitué le complément logique (et autrement sexy) d’une pareille toilette.

Il faut dire ici que les danseuses et autres ‘’artistes’’ libanaises se sont inventées au cours des années, un style hybride fabriqué de toute pièce auquel fut décerné le nom de ‘’dance Orientale’’, et qui consiste en une série de figures et contorsions acrobatiques relevant de la gymnastique aérobic plutôt que de cette discipline subtile, rituelle et ancestrale, toute en langueur et lascivité, qu’est la traditionnelle dance du ventre, qui réunit en un gestuel relativement succinct, tout le refoulement, la répression, la soumission, la révolte et l’érotisme de tous les diables, tapis aux tréfonds de l’Atmâ d’une femme séculairement cantonnée par une société archaïquement phallocratique au statut de courtisane et d’objet de plaisir pour l’homme. Mais ceci est une autre histoire…

Reste que je demeurais perplexe devant un petit véhicule posté derrière la Dulcinée et que j’identifiais immédiatement comme une authentique voiturette New Yorkaise a Hot-dogs (Hot dog cart), pour l’avoir croisée tant de fois dans son pays d’origine, et les occasions où je dus m’y arrêter pour une collation rapide.

Et comme pour dissiper toute équivoque, des petits pains dans leur caisson en verre émergeaient du haut du véhicule, tandis qu’un parasol arborant le badge d’une célèbre boisson gazeuse couronnait le tout.

J’avoue a ma grande déconfiture ne pas avoir encore réussi a établir un corollaire plausible entre la Fellaha Egyptienne, les escarpins de soirée a talons hauts et le Hot-dog cart New Yorkais ; cependant, et n’ayant point avisé de pancarte ou d’écriteau sur le véhicule en question affichant ostensiblement comme il se doit le terme : HALAL, je crains pour la promotion de cette superproduction dans les pays des croyants, où la chair d’origine indéfinissable qui garnit ordinairement ce genre de saucisses, suscite une résonance des plus suspectes.

Le meilleur étant bien entendu de prévoir une seconde copie destinée aux marchés de l’Occident et dans laquelle le terme : HALAL serait remplacé par celui de : KOSHER, faisant ainsi d’une pierre deux coups :

_ S’assurer de l’appui du mythique ‘’Lobby Sioniste’’ toujours a l’affût du moindre signe ‘’sympathisant’’ en provenance du camp antagoniste.

_ Fournir une preuve supplémentaire de l’unicité Divine en démontrant qu’au sein des deux monothéismes, le Très haut semble éprouver la même sainte aversion pour la charcuterie.

M’étant éloigné des lieux du tournage, chassé par la cohue grandissante des curieux et les braillements incessants du forcené du porte-voix, je réintégrais lentement le calme et la sérénité des matinées d’Aïn-el-Mraïsseh, et me laissais couler avec soulagement sur un banc vide face a la mer, envoyant du même coup valser dans la poubelle la plus proche, un journal probablement abandonné par un occupant précédent.

A D’AUTRES, l’incroyable litanie des Suslovistes du Dimanche, issus de tous les bords, vendus ou mystifiés, s’évertuant inlassablement à théoriser la honte et philosopher l’infamie.

Et la dégénérescence inouïe de ceux qui escomptent une aide étrangère alors qu’ils se l’interdisent entre eux-mêmes !

Ou de ceux qui professent la nécessité d’une ligne Maginot Arabe face au déferlement Persique, pour camoufler la réalité d’un axe Sunnite présent et œuvrant désespérément pour la corruption d’un rapprochement inéluctable entre l’Iran et l’Occident.

Ou de la nomenclature trompeuse qui appelle ‘’Parlement’’ ce qui n’est qu’un conseil tribal, et la mendicité à peine voilée : ‘’économie’’…

Ou des noires catacombes, murées de toute part, au fond desquelles les Libanais errent sans fin, et appellent cela : ‘’Vivre’’.

Ibrahim Tyan.

 De la chanson ‘’A Paris’’ ; hommage a Yves Montand.
 Pour les cinéphiles ; W. Wyler n’y est pour rien dans cette séquence d’anthologie qui fut entièrement tournée à l’époque par le metteur-en-scène de la seconde équipe, un certain Sergio Leone.
 Relatif a Mikhaïl Suslov.

* Visitez : « Les carnets du Beyrouthin ».

2 comments:

  1. Mon cher Ibrahim,

    Avant d'avoir lu quoi que ce soit, j'ai été saisi par le chatoiement et le dégradé des bleus et des gris et par la lumière nonchalante qui jaillissait de la photo. Une sérénité douce m'envahit, alors que mon regard glissait vers les premiers mots du texte: un essaim bigarré… Ouvrir de cette manière était prometteur de mille enchantements ! Alors, j'ai décidé d'arrêter la lecture, de m'éloigner le temps d'une cigarette pour me délecter à l'avance des moments de plaisir qui m'attendaient.

    Un premier paragraphe somptueux ! La longue phrase frénétique, débitée d'un seul souffle pour décrire l'agitation de la scène s'interrompt subitement pour céder la place au "premier vent qui passait indifférent…". Une prouesse toute cinématographique dans laquelle on perçoit le travelling arrière nécessaire pour fuir le "bourdonnement continuel" et pour permettre au vent nonchalant de s'infiltrer afin de rendre à la baie sa sérénité éternelle. Superbe de concision et de beauté.

    Vient ensuite la scène proprement dite. Elle fourmille de mille détails aussi vivants que cocasses. Et puis, merveille des merveilles, une nouveauté dans le style toujours kaléidoscopique de mon ami. Le sarcasme, subtil, froid, posé, qui crache son venin face à la médiocrité ambiante et qui n'hésite pas à interpeller le lecteur inattentif au "cortex épais". "les boucs en rut" et le "background digne de toutes les considérations" enchantent tout aussi bien par leur espièglerie badine.

    Le reste, mené tambour battant, relève d'une facture plus "viscérale", plus vengeresse, dont le foisonnement est devenu au fil des articles, une marque de fabrique qui a ses règles et ses poncifs, mais qui ne perd rien de son efficacité salvatrice !

    Bravo pour ce contraste saisissant entre la baie qui s'étend langoureuse comme une odalisque et le bruit, la fureur et la futilité d'une ambiance superfétatoire.

    Bechir

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  2. Je connaissais déjà les termes de : ‘’superflu’’, ‘’oiseux’’, ‘’inutile’’, ‘’accessoire’’ et meme ‘’surérogatoire’’, mais ce n’est pas la première fois que Béchir Oubary m’enrichit d’un synonyme nouveau pour moi et qui est celui de ‘’superfétatoire’’, qui donne en plein dans le sens voulu avec la maîtrise d’un seigneur des lettres.

    Mon cher Béchir.

    Tes commentaires sur ce forum sont devenus partie intégrante du texte commenté, telle la ‘’Prolegomena’’ ou ‘’Mukaddimah’’ d’Ibn Khaldoun dont l’importance surpasse celle du manuel d’histoire universelle qu’elle était sensée préfacer.

    Que te dire mon ami sinon mon émotion de lire entre tes lignes magnifiques, combien tu partages avec moi (toi qui résides pourtant dans la ville-lumière, aux sources mêmes de la culture et de la civilisation), le regret immense de la disparition de NOTRE Beyrouth d’antan, englouti a jamais, telle la légendaire Atlantide d’Homère.

    Merci pour la valeur toujours constante de tes interventions sur ce blog l’ami, et je sais que tu me croiras lorsque je te dis que contrairement a la mesquinerie habituelle des petites gens, Ibrahim est dans les nuages lorsqu’il trouve enfin a qui parler.

    Ibrahim.

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