Sunday, September 14, 2008

Le désespoir est muet.



A la mémoire de l’inimitable Alistair Cooke.
Et de son irremplaçable : ‘’Letter from America’’.


Ce fut durant l’un de mes voyages aux Etats-Unis que je fis la connaissance d’un Libanais qui tenait une petite pizzeria dans une banlieue de Los Angeles.

Affable et volubile comme le sont tous les Libanais dignes de cette appellation, il ne tarda pas a me dévoiler que depuis qu’il avait remplacé la totalité de son personnel par sa femme, ses trois filles et lui-même, ainsi qu’en rognant au maximum sur les ingrédients de base de ses galettes Napolitaines, il avait pu, préserver presqu’intacte sa marge essentielle de profit annuel, malgré la crise économique sévissant, et son chiffre d’affaires parti en chute libre depuis l’occupation du bureau ovale 1600 avenue de Pennsylvanie/Washington DC, par le conformiste illuminé.

Ayant fièrement demandé a ‘’l’oustaz’’ (en l’occurrence votre humble serviteur), son avis sur sa drastique démarche, je me fis un devoir de le lui fournir en toute honnêteté.

_ En débarrassant ta barque de tous les objets essentiels qui l’alourdissaient (rames comprises). -lui répondis-je - ; tu as pu jusque-là te maintenir tant bien que mal en état de flottaison. Mais si les choses iraient a se gâter encore plus (et elles le feront) ; que te reste-t-il a balancer par-dessus bord ? Ta femme ou une de tes filles ?

Erreur fatale puisqu’il m’avéra un peu tard que mon interlocuteur appartenait à cette race majoritaire du Libanais Neandertal pour lequel toute opinion non conforme à la sienne lui était littéralement intolérable.

Le début de mon discours dut donc offusquer tellement le drôle que je me retrouvais tout seul devant une pizza pepperoni plutôt rachitique, dédaigneusement ignoré par le maître des lieux qui ne répondit même pas au bye amical que je lui adressais en sortant.

M’étant retrouvé dans la région du restaurateur/stratège-économiste au cours d’un récent séjour aux US, je décidais d’aller lui souhaiter le bonjour, histoire de voir ce que l’ascète de la pasta a encore déniché pour serrer la ceinture d’un cran supplémentaire.

J’en fus étonné de trouver à sa place un élégant sushi bar tenu par une authentique Japonaise dont les affaires semblaient gazer a merveille.

M’étant enquéri sur le sort de l’ancien proprio, je pus comprendre des propos discrets de la fille du soleil, qu’arrivé au bord de la faillite, notre bonhomme finit par lui céder son affaire pour une bouchée de pain, et partit réintégrer son ancien poste de contremaître dans une usine métallurgique.

S’il m’avait a l’époque laissé finir mon discours, mon infortuné compatriote m’aurait probablement entendu lui conseiller vivement d’en profiter au maximum des facilités mises a sa disposition par le système régissant son pays de résidence, en l’occurrence de l’aisance relative avec laquelle un patron d’entreprise peut obtenir un emprunt substantiel d’une banque qui ne serait que trop heureuse de le lui accorder, d’engager un bon chef aussi professionnel que possible ainsi qu’un personnel restreint mais qualifié, de rénover son menu et ses locaux et de recourir aux services d’une bonne agence de promotion.

Aurait-il pu en suivant ces démarches sauvegarder son entreprise du naufrage ? Il n’est évidemment point de garantie formelle là-dessus ; demeure cependant que dans la dynamique d’une économie évoluée, astatique et agressivement agissante, c’étaient là les démarches de base pour éviter la mort certaine par inanition à force de vaines mesures d’austérité.

J’aime a imaginer que Rafic Le Grand était motivé par cette même logique lorsqu’il amorça sa politique d’emprunt sauvage en vue de renflouer une économie libanaise en souffrance (mais l’était-elle effectivement ?), après la fin de la guerre civile (mais était-elle vraiment finie ?).

C’est ainsi que naquirent ‘’Solidere’’ (entreprise privée pour le profit d’une minorité minimale et ‘’l’orgueil’’’ de toute une nation), le ‘’downtown’’ touristique pavé de granit et les faucilles noires d’Aïn-el-Mraïsseh).

Cependant, fallait-il être Aristote pour constater qu’il était inutile d’entamer le moindre projet de restauration avant d’avoir réformé de fond en comble l’entièreté de l’infrastructure institutionnelle et de l’épurer de toute corruption, dilapidation ou incapacité ?

Fallait-il être un Maurice Allais pour savoir qu’aucune économie viagère (même avec l’apport facile du tourisme du sexe) n’est viable sans les indispensables piliers de l’agriculture et de l’industrie ?

Etait-il nécessaire d’être sage comme Lao-Tseu pour ne point tomber dans la tentation démoniaque de s’approprier l’entièreté d’un pays peuplé d’humanoïdes quadrupèdes arrogants, rétifs et analphabètes, et de se croire capable de gouverner l’ingouvernable par le seul pouvoir d’argent ?

Mais tout cela n’a pas beaucoup d’importance.

Ce qui est vraiment important c’est le paquet de Pain dont le poids continue de diminuer, c’est la boite de ‘’Labné’’ désormais remplie aux trois quarts mais dont le prix augmente en flèche, et des sacs de céréales dont l’étiquette affiche 1000 Gr, mais qui marquent 800 à 850 Gr. sur la balance.

C’est les scandaleux impôts indirects qui ne touchent que la classe pauvre puisqu’imposés sur leurs nécessités les plus vitales, et des pauvres qui s’entredévorent faute de déchiqueter leurs affameurs.

C’est l’état en faillite complète, désormais soumis à la tutelle des entreprises privées devenues plus riches que lui, et des hordes armées dont il ne peut égaler la puissance ni l’autorité.

Dernièrement, de nombreux amis et fideles lecteurs dont notamment, G.A., Karalaz, Libanicus, Mauro, Fadi, R.D. et Samar m’écrivirent pour s’étonner de mon ‘’éloignement’’ (Roland) et mon ‘’mutisme incompréhensible’’ (Samar) vis-à-vis ‘’d’evenements majeurs’’ sur la scène locale et régionale.

Tout en les remerciant pour leur fidélité et leur intérêt jamais pris a défaut, je ne peux que leur livrer en vrac, sans la moindre hésitation ni reluctance, le fond de ma pensée.

_ L’ablation du parti Khomeyniste, désormais aussi indéracinable au Liban qu’un cancer violent propagé a l’intérieur d’un organisme épuisé et sans défense, requiert désormais une intervention d’une envergure telle qu’elle risquerait d’emporter les restes du Liban avec, a défaut d’un cataclysme naturel du genre des fléaux bibliques infligés par Yahvé au peuple d’Egypte.

_ Il a suffi au Syrien d’agiter discrètement la baguette en direction du Liban (et de l’Arabie Saoudite), en la présence approbatrice des plus hautes autorités Française, Turque et Qatarienne pour que le cheikh Saad se rue vers Tripoli (malgré son horreur des déplacements hors du périmètre fortifié de son Quoraytem) pour y instaurer une réconciliation-éclair (entre qui et qui ?) qui étouffa comme par miracle un brasier que rien ne semblait pouvoir maitriser et qui menaçait de s’étendre au-delà du territoire Libanais.

_ Malgré les différences apparentes entre l’assassinat récent du cheikh Saleh el Aridi et celui du General François el Hage, tout semble indiquer que les deux meurtres/messages ont étés commis par la même cabale pour les mêmes raisons et dans le même but.

_ C’est entre les Chrétiens et dans leurs propres régions que le danger des affrontements les plus âpres et les plus destructifs couve sous la cendre.

_ Dans l’attente d’une troisième guerre mondiale dont les éléments s’amoncellent inexorablement a l’horizon, le Liban ne connaitra plus de paix ni de stabilité.

Entretemps, des Chrétiens célèbrent en grande pompe dans leurs zones redevenus ‘’enclave’’, la mémoire de leur ancien chef de guerre qui ne jouit des félicités de la présidence que durant 21 jours.

En déterrant pour la nième fois le squelette de celui dont la plupart d’entre eux avaient souhaité la mort de son vivant, ces néo Zapatistes espèrent que cela contribuera au barrage contre la folle équipée du Generalissimo Miguel Alcazar au sein de ce qu’ils ont toujours considéré comme étant leur canton privé et chasse gardée.

Viva Zapata !

Ibrahim Tyan.

* Visitez « Les carnets du Beyrouthin ».

8 comments:

  1. Olá, goût très du Blogue.
    Excuse ne pas écrire plus, mais mon français n'est pas bon.
    Une accolade depuis le Portugal

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  2. C'est avec une réelle délectation que j'ai lu le récit sur l'apprenti pizzaïolo, sa course vers l'abîme et l'apparition en lieu et place de sa pizzeria défunte la jeune nippone qui menait professionnellement sa petite affaire en appliquant probablement les mêmes règles basiques que l'apprenti n'a pas daigné écouter de la bouche de mon cher Ibrahim.

    J'ai ensuite parcouru rapidement les lamentations (toutes justifiées) sur la cherté de la vie, la cupidité des corrupteurs et des corrompus, la faillite de l'État, la déliquescence des institutions, la prolifération du mercantilisme et du clientélisme et donc de toutes les tares dont souffrent les pays sous-développés.

    Je me suis enfin attardé sur le diagnostic livré par bribes (justes et éloquentes) sur l'état d'un pays en lambeaux dans le ciel duquel les nuages s'amoncellent pour annoncer les catastrophes à venir.

    Le style berce par ses chatoiements et parvient à envelopper l'amertume qui s'infiltre entre les mots d'une douceur infinie.

    Bechir

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  3. Bonsoir cher Bechir

    Je viens de rentrer du mall commercial tout prés de chez moi et que tu connais bien, où je prenais le café avec quelques collaborateurs de travail.

    Avant de quitter, je passais au supermarché du mall pour faire quelques petites emplettes, et fut surpris de voir son nom changé.

    Ceux qui m’accompagnaient m’expliquèrent que l’établissement avait été nouvellement acquis par un millionnaire du Golfe.

    Premier signe du changement, l’immense vitrine a charcuterie comporte dorénavant un nouveau compartiment séparé qui affiche bien en évidence telle une mise en garde, un écriteau arborant un seul terme : KHANZIR…

    C’est là justement que je me dirigeais car consommer de la charcuterie qui ne serait pas de la cochonnaille équivaudrait a entendre Wiam Wahhab sans protège-oreilles.

    Chtaknalak.
    Ibrahim.

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  4. @ Anastàcio

    Obrigado o meu amigo, boa possibilidade e bom vento

    Ibrahim.

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  5. Cher Ibrahim,

    Je commençais à m'inquiéter de ton mutisme. J'espère que tu vas bien et que tu as pu déguster de la charcutrie "khanzir", car, que serait le jambon de Parme s'il était "halal"? ;-)

    Bel échange entre deux géants du verbe! M. Oubary, je suis un avide lecteur de votre blog que je trouve absolument magistral.

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  6. Bonjour cher Kheir.

    Tu sais mieux que quiconque que je me fais un devoir (et un plaisir quand il s’agit d’amis comme toi) de répondre sans faute a toute missive sur mon e-mail ou forum ; ton dernier message (ainsi que celui de Sixt’) suite a mon billet précédent sont demeurés sans réponse, dû a un pépin advenu a mon PC, qui a requis un certain temps pour être réparé.

    Merci quand même de t’être inquiété.

    A ma connaissance, Balzac, Zola, Molière, Shakespeare et leurs semblables étaient les seuls ‘’géants du verbe’’ authentiques ; ce qui ne m’empêche pas d’apprécier la gentillesse et l’amabilité de mon ami Kheir.

    Ceci dit, je me permets de parler ici pour Béchir en te signalant que si le forum de son blog est fermé, son e-mail y est par contre clairement mis en évidence.

    Entre nous, je continue à considérer sérieusement l’option de faire de même, la plupart de mes lecteurs ayant choisi l’e-mail pour me communiquer leurs messages et commentaires.

    C’est des amis comme Sixt’, toi-même et quelques autres qui me font encore hésiter.

    Have a nice day friend.

    Ibrahim.

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  7. Ainsi, tu te rinçais l'œil dans les galeries du City Mall métamorphosé récemment en TSC pour cacher son nom véritable (The Sultan Center). Le groupe koweitien As-Sultan nouveau propriétaire du mall à qui l'on a fait comprendre que son nom ferait fuir à des kilomètres à la ronde la clientèle chrétienne, a fini par se décider pour l'acronyme anonyme. L'affichage de l'enseigne Khanzir (dont le sens péjoratif en terre d'Islam n'est plus à démontrer) dans le rayon charcuterie serait la seule revanche que le koweitien a pu se permettre contre la distribution indispensable de la viande de porc (mais o combien prohibée par sa religion) pour son business en terre chrétienne. Je te conseille toutefois de veiller à la date d'expiration de la marchandise, les bédouins sont tous sournois (Cf. Ben Kerishan) et une vengeance peut en cacher une autre !

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  8. Hahahahaha !!
    Cher Bechir, on ne peut rien te cacher….

    De toute façon, je dois m’y rendre de nouveau ce matin même, pour finaliser mes pourparlers avec mes interlocuteurs d’hier.

    L’idée m’étant venue hier soir, je repasserais au supermarket si le temps le permet, pour voir ce qu’ils en ont fait du rayon des spiritueux.

    Suivant la manière avec laquelle ils ont résolu le problème des cochonnailles, je ne serais pas étonné de voir le Glenfiddich ou un vénérable Médoc exposés sous l’enseigne : ‘’MOUNKAR’’ !!

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