Thursday, April 3, 2008

Le nouveau peuple errant.


Nul homme n’est une île
Suffisante en elle-même
Mais un fragment d’un continent
Une part d’un Tout…

De par mon appartenance au genre humain
La mort de chaque homme me diminue
N’envoyez plus vous enquérir :
Pour qui sonne le glas,
Il sonne pour vous.


John Donne. (1572-1631).
Méditation XVII.

* * * *

Le degré de non-appartenance à son pays d’origine varie considérablement d’un individu à l’autre.

Alors que certains se considèrent par conviction comme de libres citoyens du monde pour lesquels le terme de ‘’patrie’’ relève de l’anachronisme le plus obsolète, d’autres affichent pour des raisons moins conceptuelles, une indifférence totale envers leur nationalité d’origine, mais sont prêts pour en acquérir une autre à lutter avec l’énergie du désespoir.

Dans cette dernière catégorie on y trouve la plupart des Libanais ; et je serais le dernier a les en blâmer.

Mais le spectacle des efforts désespérés de certains de mes compatriotes pour s’intégrer coûte que coûte dans une société étrangère alors que rien dans leur formation civique, académique ou intellectuelle ne les en prédispose a toujours été pour moi un spectacle amèrement désolant.

Je m’en souviens encore d’une petite midinette Libanaise résidente illégalement depuis quelques mois aux Etats-Unis qui me demanda lors d’un séjour de travail qui m’emmena là-bas en 2002, ce que j’en pensais des événements du 11 Septembre 2001.

A ma réponse laconique que je n’en pensais rien du tout, la bonne femme, saisie a mon grand étonnement d’une sainte fureur ‘’patriotique’’ faillit m’arracher les yeux de la tête, me traitant d’ogre insensible et d’apologiste de la terreur.

Mère nature m’ayant pourvu d’un tempérament particulièrement tranquille et conciliant, je renonçais a la méchante tentation de lui demander de bien vouloir m’aligner les trois noms de Thomas Jefferson, Andrew Jackson et Abraham Lincoln dans l’ordre chronologique de la date de leur accession a la présidence des Etats-Unis, ou de lui demander lequel d’entre Sinclair Lewis, F. Scott Fitzgerald ou Ernest Hemingway eut le plus d’influence sur la littérature Américaine contemporaine. (Ces connaissances étant a la portée de n’importe quel petit morveux de yankee qui a fait des études secondaires).

Mais avec ses jeans qui parvenaient à peine à contenir son fessier imposant, son T-shirt arborant une pomme rouge et le slogan ‘’I Luv NY.’’, sa casquette de base-ball et ses baskets, la pauvrette qui faisait l’impossible pour passer inaperçue des agents du département de l’immigration était paniquée a l’idée de quelque camera-micro cachée par la FBI qui la prendrait en flagrant délit d’anti-américanisme en compagnie de l’agnostique radical organique venu du pays des sauvages.

Après l’explosion de leur pays en 1975, les Libanais furent projetés sans ménagement hors de leur douillet petit cocon Méditerranéen pour se retrouver éparpillés aux quatre coins du globe, essayant désespérément de s’incruster a n’importe quelle paroi passible de leur assurer un semblant de l’existence normale dont ils avaient étés si brutalement dépossédés.

Aussi navrant est le cas des Libanais de l’intérieur, déportés par les guerres intestines, le triage confessionnel et sectaire, les invasions palestiniennes, Syriennes et Israéliennes, et réduits a l’état de refugiés dans leur propre pays.

Mais le pire est encore ce qui reste à venir.

Il suffit aujourd’hui d’observer Israël, coincé entre le marteau du Hamas & Jihad a Gaza et en Cis Jordanie, et l’enclume du Hizballah avec ses 40.000 missiles pointés sur ses villes principales a partir du territoire Libanais, avec derrière lui l’ombre de la menace pour bientôt nucléaire de l’Iran, pour sentir les émanations sulfureuses de l’enfer balayer déjà la région de leur souffle mortel.

Il suffit aussi d’observer une partie importante des Libanais qui ont choisi d’appuyer une Syrie qui continue méthodiquement a saboter leur pays, assassiner leur fine fleur et bloquer toute solution a leur crise ; et de se retourner contre le reste de la planète pour se faire hacher menu dans des guerres absurdes qui ne servent qu’aux intérêts des autres.

Ne s’allie avec un régime terroriste, fourbe et criminel que celui qui est pétri de la même pâte.

De Gaza a Téhéran en passant par Damas et Tel-Aviv, la zone de mort est désormais délimitée et le compte a rebours a commencé.

Fidèle au rendez-vous et respectueux de ses ''engagements Divins'', le Hizballah en poste avancé Iranien a placé de force le Liban au beau milieu de cette tourmente.

Cependant, retors et double-face, Damas pourrait bien offrir in extremis la tête du Hizb aux Américano-Sionistes en échange de gages solides garantissant son impunité.

Mais qu’elle le fasse ou non, c’est le Liban qui dans les deux cas payera le prix exorbitant.

Entretemps Sayyed Hassan (pour des raisons qu’il connait très bien) continue à paralyser le gouvernement, Istiz Nabih (pour des raisons de salut personnel) garde la chambre des députés bien fermée, et le Général Taratatata (pour des raisons d’ordre purement clinique) bloque les élections présidentielles.

Privé de gouvernement, sans institutions ni président, c’est dans cet état que le Liban recevra de plein fouet le maelstrom qui arrive.

* * * *

Devant la mer d’Aïn-el-Mraïsseh, la formidable symphonie d’or et de lumière déroulait sa splendeur inaltérable, imperturbable à la folie des hommes et leurs chimères en cette radieuse journée printanière.

Le bruit familier des dés du trictrac mêlé au parfum de café frais à la cardamome me remplissait le cœur d’une paix profonde et les cris joyeux des enfants me parvenaient semblables à des gazouillements.

Gaily bedight,
A gallant knight
In sunshine and in shadow,
Had journeyed long,
Singing a song,
In search of El Dorado.


Edgar Allan Poe. (1809 – 1849)


Ibrahim Tyan.

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8 comments:

  1. Bonsoir Ibrahim.

    A chaque fois que je vois un nouveau texte sur votre site je me lèche les babines. Car ils sont un repas des plus complets et des plus équilibrés ; mêlant cours d'Histoire ( ca me rappelle le lycée ), contes et légendes ( ma tendre jeunesse ! ), anecdotes, scènes tragiques, scènes comiques, description de paysages, sans omettre bien entendu la touche sacro-sainte de politique locale.

    Ce que je retiendrais de ce dernier est la fameuse " midinette " New-Yorkaise ( héhé, comme il vous plait de la nommer ). Un vrai régal cette dame ( peut-être avez-vous exagéré un brin ses traits ou son même son physique pour la cause de la littérature .. quoiqu'il en soit vous avez bien fait ! ).

    Je mêle mes craintes aux votres cher ami en ce qui concerne le futur proche de notre pays. Le Liban a toujours été la soupape du Moyen-Orient ...
    Maudits soient ceux parmis nous qui poussent le Liban au milieu de cette dangeureuse tornade.

    Au plaisir de vous relire bientot Ibrahim.

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  2. Hi Romanos,

    Si vous aviez vu, (comme j’en ai eu le privilège), la mousmé en question avec son accoutrement, ses ‘’attributs naturels’’ et son IQ vertigineux, vous auriez peut-être su que je suis demeuré bien en-dessous de la vérité pour ne point trop nuire a l’unité du texte.

    Quant au Liban, son avenir prochain est déjà tracé noir sur blanc.
    Faut pas être Seymour Hersh ni Michel Hayek pour le deviner.

    Dans certains cas (comme celui-ci), je donnerais très cher pour avoir eu tort.
    J’espère de tout mon cœur m’être trompé de jugement.

    Merci pour vos bonnes paroles, et bon courage.

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  3. cher Ibrahim,
    que l'on soit patriote ou anti-patriote,je crois que l'on ne peut pas nier que l'homme a besoin de se rattacher à une terre,à sa terre.tout le mponde,un jour ou l'autre recherche ses racines,tout comme un enfant adopté ressent un jour ou l'autre le besoin presque vital de retrouver ses parents biologiques,ne serait-ce que pour les voir au moins une fois,voir à quoi ils ressemblent.
    donc comment peuvent faire ses libanais de la diaspora pour couper de façon définitive leurs liens naturels avec la "mère-patrie"?ils perdent une partie d'eux-mêmes;deviennent hémiplégiques.
    et je crois que si un pays devait plus qu'un autre retenir ses propres enfants,c'est bien ce "Loubnan"paradis parmi les paradis.en effet,de par le monde,tous les pays ne sont pas égaux sur le plan de l'attraction:quitter les bidonviles de Calcutta ou les steppes de Sibérie doit probablement être moins déchirant ou moins traumatisant que quitter Beit Mery, Jezzine,ou Tyr.
    pour finir,c'est bien là que réside le problème:pour que nombre de jeunes et moins jeunes libanais aient préféré ouvrir,par exemple, un petit restaurant dans la banlieue parisienne et qui de surcroît ne les fait pas vivre correctement,cela montre que les forces du néant ont particulièrement réussi leur travail de desruction du Liban.au nom de qui,et dans quel but?
    signé:Bibi

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  4. @ Bibi
    Cher ami,
    Il n’existe pas de moyen plus efficace que les différends religieux pour semer la division parmi les rangs d’une population unie.
    L’exemple de l’Irlande est encore présent dans la mémoire et l’impressionnante diaspora Irlandaise en témoigne.
    Seulement les Irlandais éparpillés de par le monde continuent à chérir leur patrimoine originel et affichent une fierté a toute épreuve de leurs racines ; contrairement aux Libanais qui s’efforcent de dissoudre tout lien avec leur pays pour se fondre dans une nouvelle identité empruntée, mais qui deviendra réelle et intégrale avec leur progéniture.
    Cette différence est due a des facteurs multiples notamment l’absence de formation civique et nationale adéquate (la plupart des Libanais ne savent presque rien de l’histoire de leur pays), mais aussi aux horizons obstrués par une longue succession de gouvernements ineptes et corrompus.
    Il est vrai que le Liban n’est pas Calcutta ou la Sibérie, mais a longue haleine, ces deux patelins ont meilleur avenir car ils ne souffrent pas du virus religieux.
    Je suis enchanté que vous citiez Beit Mery, Jezzine et Tyr, oui il est certes pénible de quitter de telles places ; mais pour moi, le comble de la misère est de voir un Beyrouthin déserter a jamais son Beyrouth.

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  5. cher Ibrahim,
    tout comme Romanos,je me régale de votre prose.
    d'ailleurs,j'avoue être admiratif quand je vois comment vous maniez ma langue maternelle...et être un peu honteux qd je laisse passer des petites fautes(plutôt d'inattention).
    cela dit,et je m'adresse au beyrouthin que vous êtes,pouvez-vous sans trop réfléchir, me citer trois ou quatre noms de quartiers de Beyrouth que vous adorez ou qui vous feraient mourir de tristesse s'ils étaient amenés à dispaître.merci d'avance.
    Bibi

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  6. @ Bibi
    J’espère que ma réponse ne vous décevra pas beaucoup cher ami mais les belles places et quartiers de Beyrouth que j’aimais tant ont presque tous disparu.

    Ainsi donc il ne reste plus rien de la place DEBBAS, et la place des MARTYRS a été vandalisée a l’extrême. De même pour la place historique de BAB-IDRISS et tous les vieux SOUKS qui s’y ramifiaient jusqu’à la Place des Martyrs.

    De même pour le vieux port et quartier d’AIN-el-MRAISSEH, et les anciens quartiers de ZEITOUNÉ, HAMRA, RAOUCHÉ. Etc.

    Il reste néanmoins des quartiers a moitié touchés par la guerre, l’urbanisme sauvage ou les deux a la fois, qui gardent quelques vestiges de l’ancienne métropole du Levant.

    _ A Beyrouth-ouest ce sont les régions de RASS-BEYROUTH, CLEMENCEAU, SANAYEH, Etc.
    _ A Beyrouth-est, le périmètre qui s’étend des confins de GEMAYZÉ en passant par TABARISS, le quartier SURSOK, et l’ancien quartier de L’UNIVERSITÉ ST-JOSEPH.

    Mais avec la valeur du terrain appelé à atteindre dans ces régions-là des chiffres astronomiques, je ne crois pas qu’ils résisteront longtemps à la cupidité des hommes d’argent.

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  7. Je ne connais rien à l'histoire du Liban, rien à l'histoire des USA...et si peu de l'histoire de la France ! mon QI est très limité... mais allez savoir pourquoi, j'ai la capacité d'éprouver un très grand plaisir à vous lire...
    La description de la midinette était un peu facile ! Etre sans papier, c'est d'abord et à tout prix tenter de se fondre dans la masse. N'est-ce pas évident? L'érudition passe après ! Pourquoi donc la femme reste t-elle toujours le portrait de la béotienne, la simplette, la provocante, la délurée, l'aguicheuse...etc.
    Il serait temps de changer de genre.
    Aussi, apprécierais-je d'autant plus votre prose et votre art si, lors d'un prochain billet, vous réussissiez à nous faire passer ces mêmes traits à travers le portrait d'un homme ! Un challenge amical :)
    Enfin, vous comparez le peuple libanais au peuple irlandais. L'un est composé d'une multitude de communautés, l'autre de deux communautés bien tranchées mais avec une seule culture.
    Je comparerais plutôt le Liban à mon bout d'île de la Réunion, composé de communautés diverses et variées, de cultures différentes(pour faire rapide, communauté d'origine indienne de confessions musulmane et hindou, communauté d'origine chinoise à majorité catholique, communauté cafre (descendants d'esclaves) catholique). Chacun se sent d'abord réunionnais et est très attaché à son île. Pourquoi? mon explication est la suivante : l'expression politique n'a jamais été communautariste. Le réunionnais se bat pour des idées et non pour mettre en avant une communauté. Et j'espère qu'il saura garder raison et ne jamais s'aventurer à changer de cap. L'appartenance à une communauté ou une religion n'est pas évoquée et reste du domaine la sphère privée même si la pratique de la religion est ostentatoire, que ce soit chez les hindous, les catholiques ou les musulmans contrairement à la France métropolitaine !
    élisez en métropole un musulman à la tête d'une mairie, et c'est un évènement exceptionnel ; ici, c'est normal!)
    Ensuite, il y a un certain mixage des communautés. J'ai en revanche comme l'impression que certains libanais veulent garder la pureté de leur sang phénicien... Ne parlons pas de la politique libanaise dont la constitution est basée sur les communautés. Comment peut-on alors se sentir libanais? Je m'interroge.
    Merci encore.

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  8. Hello Chris :)

    Vos interventions sur ce forum sont toujours les bienvenues.

    Je vais essayer de répondre à certains points soulevés dans votre commentaire.

    _ Ce blog rengorge de portraits de personnages masculins plus incultes les uns que les autres. (Revoir sur ce site : ‘’l’infâme désunion’’ par exp).
    Mais n’étant point conteur ni romancier, et fidele a une discipline rigoureuse que je m’étais imposée dès le début, il m’est virtuellement impossible de décrire un personnage que je n’ai pas effectivement rencontré ou une situation que je n’ai pas vue ou vécue.
    Dans ce cas, l’explication des raisons pour lesquelles vous vous demandez pourquoi vous avez plaisir à me lire (et ce dont je vous en remercie) ne seraient-elles pas tout simplement le cachet caractéristique de l’AUTHENTICITÉ ?
    Pour clore ce point, je suis solidaire de cœur et d’âme avec tout Libanais en détresse et comprends parfaitement la nécessité vitale pour un sans-papier de se ‘’fondre dans la masse’’ comme vous le dites si bien ; cette situation requiert cependant des attributs de discrétion exemplaires parmi lesquelles figure la faculté de savoir SE TAIRE.

    _ logée tranquillement au milieu de l’océan Indien, administrativement département Français de son état et constituant régionalement partie de l’Union Européenne et de la zone Euro avec plus de 85% de sa population d’affiliation Catholique Apostolique et Romaine, le cas de l’ile de la Réunion n’est pas celui du Liban.

    _ La comparaison entre les deux peuples Libanais et Irlandais est d’ordre strictement politique et non religieux ; les deux nations ayant à faire face a l’autoritarisme et la convoitise d’une ‘’grande sœur’’.

    Cordialement.

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