Friday, October 2, 2009

L'ÉTÉ MEURTRIER *











Je ne sais plus si c’est le réchauffement planétaire, ou bien des ans l’irréparable outrage**, ou une combinaison des deux éléments réunis qui finit par avoir raison de ma grande carcasse fatiguée, et de me rendre invivable ce qui me fut un jour source de félicité et de bonheur renouvelé.

Ou serait-ce le sacrilège insensé perpétré par les carrières de la voracité qui grignotèrent les cimes éternelles du Mont-Liban et de L’Anti-Liban, ouvrant dans le formidable rempart naturel, d’immenses brèches par lesquelles s’engouffre désormais l’haleine sulfureuse de la géhenne Arabique ; là où le marteau d’Ibliss bat l’enclume de Satan, par une température moyenne de 50° Celsius !

A moins que cela ne soit la déforestation intensive qui réduisit à 8%, les espaces verts qui recouvraient il y a encore a peine un demi-siècle, quelque 38% du territoire national.








Il demeure que je fuis désormais comme la peste, l’étuve inusitée de l’été Beyrouthin ; le même dont j’attendais jadis les prémices radieuses, plus qu’un veilleur ne guette l’aurore***

L’amertume d’un passé désastreux, l’humiliation d’un présent dégradant et la rage impuissante devant un avenir nébuleux, constituent un cumul fait pour dénaturer les caractères les mieux trempés. N’échappent à cette fatalité que les sans-consciences et les inconscients.

Il fut pourtant une époque où j’avais rêvé d’un état digne de la terre qu’il reçut en héritage. D’un régime capable de faire ériger face à la mer d’Aïn-el-Mraïsseh, une Synagogue, une cathédrale, une mosquée, et un panthéon dédié à la libre-pensée.

Quatre merveilles architecturales à la gloire de la sagesse, de la tolérance et de l’esprit, qui brilleraient telles diamants au soleil, face au lapis-lazuli Méditerranéen.

Et comme aux temps d’Athènes, de Syracuse ou d’Alexandrie, la Mère ancestrale viendrait sanctifier de ses ondes lustrales le marbre immaculé des nouveaux parvis de Beyrouth l’unique, au su et au vu d’un monde admiratif et envieux.

Foutaises que tout cela ! Mégalomanie primaire, et niaiseries de jeunesse…

Homo homini lupus. Il n’est que cela de vrai !

Aussi vrai que l’usage qu’en firent les petit-bourgeois d’Achrafieh de leur libre-arbitre électoral fraîchement (et point par leurs bons soins) recouvré, reconfirmant sans le savoir, le bien-fondé du discours Platonicien sur l’Homme, pire ennemi de lui-même.









Mais c’est le phénomène navrant de l’exploitation sans vergogne des morts, et de leur exhumation intensive et routinière, notamment par les nécromanciens de la ‘’culture de la vie’, dans le but de se les asservir comme candidats parallèles et Zombis, qui me ramène incessamment vers l’univers macabre de George Romero.









S’étant rendus compte de la bêtise monumentale qu’était la remise en vigueur d’une loi électorale archaïque et inappropriée dont ils furent ironiquement les premiers à en faire les frais, le nouveau discours de leur obscurantissime ânerie se rabat aujourd’hui sur une nouvelle alternative qu’ils savent (!?!) hors de leur portée, et qui consiste tout bêtement en un système électoral basé sur le principe de la majorité relative.

Sur cela je n’ai rien à redire, puisque je sais que de toute façon, ce n’est là que verbiage inutile et poudre aux yeux.

Mais a entendre les pitoyables nullités qui n’ont pas étés foutus passer une misérable loi autorisant le mariage civil (facultatif), pontifier aujourd’hui sur les mérites d’une formule dont les vicissitudes faillirent en 2002, porter le fascisme au pouvoir dans une des démocraties les plus prestigieuses de l’histoire, je sens un irrésistible ricanement sardonique m’envahir.

Avec tout de même le regret sincère de n’entrevoir aucune possibilité (mais alors aucune) pour se délecter, ne fut-il dans un avenir lointain, du spectacle inénarrable d’Abou Roukoz et d’Umm Hussein aux prises avec un système électoral à majorité relative associé aux circonscriptions électorales à siège unique et au scrutin majoritaire uninominal.

A moins que l’intarissable génie Libanais ne vienne une fois de plus me frustrer de ma part de rêve, en y extirpant une version consensuelle…

Mais la navrante déchéance intellectuelle et morale de mes compatriotes, leurs haïssables certitudes politiques et religieuses ainsi que l’ensemble de leurs égarements aussi graves soient-ils, demeurent des peccadilles vénielles devant le sacrilège impardonnable d’avoir ébréché de leurs propres mains la splendeur unique de leur terroir, dilapidé a tout vent les grâces innombrables dont la nature a comblé leur domaine, et altéré organiquement et irréversiblement leur patrimoine physique et collectif ; leur espace vital et lebensraum.

* * * *

Au mépris d’Octobre, l’astre infernal demeure immuable au zénith du firmament comme au jour de Gabaôn, lorsque l’Eternel livra les Amorites entre les mains de Josué.








A défaut de l’ancien champ de carnage (et dans l’attente d’un nouveau), ses traits cruels balaient aujourd’hui les montagnes chauves et les collines déboisées ; les sources taries et les rivières usées du pays de lait et de miel.

Et la mer polluée, dégarnie de sa faune et flore, revient inlassablement vers les longues plages jadis dorées, raclées jusqu'à la roche et converties en dépotoirs à ordures.

Heureusement que l’éternité n’est pas de ce monde, et qu’après Octobre viendra Novembre suivi de près par Décembre puis Janvier, et que rien ni personne ici-bas ne pourra altérer ou modifier cet ordre des choses ; et c’est bien ainsi.

Vivement l’hiver, la nuit, et l’oubli.











Cliquez sur la barre de son et délectez-vous du cafard urbain et stylisé de Leonard Cohen.

Ibrahim Tyan.

* Jean Becker, (1983).
** Racine, (Athalie, acte II, Scène V).
*** David, (De Profundis, psaume 130 [129]).