Thursday, October 25, 2007

La république Bouss - el - Wawa.



> Ce qu'il faut surtout pour la paix, c'est la compréhension des peuples. Les régimes, nous savons que c'est : Des choses qui passent. Mais les peuples ne passent pas.
Charles De Gaulle.
Extrait d'un Discours à Dunkerque - Septembre 1959

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La tolérance du bon roi des Français Henri IV (1553-1610) ainsi que sa conversion du Protestantisme au Catholicisme pour le bien du pays, mit fin à la guerre civile entre les Français.

Sa verve de libre-penseur humaniste apparaît dans la magnifique boutade qu’on lui attribue, lorsqu’à la veille de son couronnement à la cathédrale de Chartres, il déclara à sa maitresse Gabrielle d’Estrées : Paris vaut bien une messe.

Mais c’est surtout sa nature généreuse qui transparaît dans sa non moins fameuse citation, désarmante de justesse et de simplicité : Je veux qu'il n'y ait si pauvre paysan en mon royaume qui ne puisse mettre tous les dimanches sur sa table une poule au pot.

L’assassinat de ce monarque altruiste et tolérant en 1610 par un François Ravaillac, Catholique fervent et jésuite fanatique, se place dans la ligne évidente des choses.

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> Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs.
Robespierre.
Extrait de : lettre à la convention nationale.

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Depuis l’aube de son indépendance, le Liban doit tout à son peuple et presque rien aux gouvernements qui s’y sont succédés. C’est uniquement grâce à son initiative personnelle que le Libanais est parvenu à accéder avant l’éclatement de la sale guerre en 1975, à un niveau économique, culturel et social tel, que les habitants des plus prestigieuses métropoles de la planète lui enviaient.

A plus forte raison ses nombreux ‘’frères’’ et certains ennemis outre-frontière.

Mais de toujours, son adversaire mortel à été (et demeure) LE SYSTÈME LIBANAIS en lui-même, défendu jalousement par les ‘’autorités’’ successives qui ‘’dirigèrent’’ le pays, et qui se ressemblaient tous, comme se ressemblent les maillons d’une unique chaîne, faite pour retenir, entraver, empêcher et étouffer tout espoir de voir le Libanais accéder un jour à un régime meilleur.

Aujourd’hui, SE. Fouad Sanioura apparaît souvent à la télévision pour étaler (modestement) sa suffisance de white collar et tenir au Libanais moyen (de plus en plus illettré) un discours fallacieux et pseudo technique digne du plus petit broker charlatan de Wall Street, où il n’est question que de banque Mondiale, de conférences Internationales pour l’aide au Liban, de balance de paiements, de taux d’intérêt et d’indice de croissance.

Indice de croissance indeed !

_ Allez donc expliquer cela à un pauvre hère qui n’arrive pas à comprendre pourquoi l’huile d’olive, le citron, la tomate, les concombres, la botte de menthe fraîche et autres ingrédients nécessaires pour la confection d’un modeste plat de ‘’Fattouche’’ lui sont désormais rendues inaccessibles.

_ Ou pourquoi en l’espace d’un mois, les prix sur les étagères des hypermarchés ont augmenté de 40%.

_ Ou encore à l’auteur de ces lignes, obligé de se fendre avec ses voisins, d’une importante somme, pour le creusement d’un puits artésien afin d’assurer l’approvisionnement de leur immeuble en eau courante, avec toutes les dépenses supplémentaires en permis, certificats, filtres, entretien et examens labo réguliers que cette démarche implique.

Ce n’est qu’en occupant une suite au Ritz qu’on verra sa douche matinale revenir à plus cher.

_ Ensuite de consacrer un autre budget pour l’achat des six grandes jarres hebdomadaires d’eau minérale, nécessaires à sa subsistance et celle des membres de sa famille.

Et de recevoir en fin de compte la facture bleue de la compagnie Libanaise des eaux, lui réclamant candidement de payer sa cotisation.
…Qu’il va payer sans doute, comme il paie celle de la compagnie d’électricité du Liban malgré le rationnement, les pannes, les misères, la facturation illogique et exorbitante du kWh, et la présence d’un générateur privé en bas de l’immeuble ; ainsi que sa taxe de TVA et toutes les autres taxes que son gouvernement juge bon de lui infliger.

En ceci il ne diffère guère du reste des Libanais, qui paient tous, rubis sur l’ongle.

Et s’ils ne comprennent pas tous le fonctionnement du système fiscal et le rôle capital qu’il joue dans la structure économique et sociale d’un état moderne, il ne leur est point nécessaire d’être des Adam Smith pour deviner que les taxes, impôts et autres prélèvements gouvernementaux, constituent au Liban une sorte de RANÇON que Le citoyen (ou plus justement dit : le ressortissant) verse aux autorités, tels à un maître-chanteur ou à une mafia, pour ne plus les avoir sur le dos et de pouvoir ainsi vaquer à ses propres occupations EN PAIX.

C’est là la seule retombée positive que le Libanais récolte en contrepartie du paiement de ses impôts ; mais c’est toujours ça de gagné.

De tout temps, le fossé à existé au Liban entre les autorités et le peuple ; mais jamais comme depuis l’avènement de SE. Rafic Hariri, où l’on vit la somme totale du peuple libanais, reléguée au rang d’entité abstraite dans les livres de compte du grand bienfaiteur.

Le souvenir est encore présent du jour où le Grand Homme rassura publiquement un Elias Hraoui saisi par un faible soubresaut de scrupules, par les mots suivants : La vie progresse, le travail progresse et le pays progresse ; soyez-en sans crainte Monsieur le Président.

De quel progrès parlait-il donc ?

De celui qui catapulta sa fortune personnelle de $. 3 milliards env. à plus de $. 16 milliards en l’espace de quelques années pardi.

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> L’argent, ah ! Fléau des humains.
Sophocle.

Comme les Chrétiens ont leur Bon Dieu, les Musulmans leur Allah et les juifs leur Yahvé, moi j’ai mon Beyrouth et Solidere ne me le remplacera jamais.

L’ancien et merveilleux cœur de Beyrouth est mort sous les bombes depuis longtemps ; mais il aurait pu se remettre à battre, plus vif et plus fort qu’avant, s’il n’avait été étouffé par l’indescriptible rapacité ignare du requin qui s’est approprié de force la perle du Levant pour en faire une sorte de ghetto de luxe sans aucun lien spatial ou temporel avec le pays qui l’entoure.

Debout au milieu de Beyrouth, devant les locaux d’An-Nahar en cette resplendissante journée d’Octobre, j’observais pensivement la statue des Martyrs.

Jadis érigée fièrement au centre de la place, je la retrouve aujourd’hui misérablement coincée dans un recoin situé entre deux avenues à circulation rapide, ce qui lui fait perdre totalement sa fonction symbolique : celle de signaler un point fort de la cité, dans une ville de plus en plus dépouillée de tout repère urbain.

Derrière moi, j’entendis les gardes de corps et autres ‘’security Guards’’ qui pullulent constamment autour de l’immeuble du Nahar et du parking adjacent rigoler grassement autour d’une rutilante Mercedes noire arrêtée devant l’entrée de l’immeuble.

Saisi de curiosité, je m’approchais mine de rien pour découvrir un de leurs ‘’collègues’’ juché derrière le volant qui se marrait comme un gaulois tandis qu’à travers les haut-parleurs de bord la pulpeuse Haïfa orgasmait : Bouss el Wawa !

Vraisemblablement notre prochain hymne national.

Ibrahim Tyan.

Ps. Pour les lecteurs qui ne parlent pas l'Arabe: Bouss-el-Wawa = Embrasse mon bobo.

* Visitez « Les carnets du Beyrouthin »

Saturday, October 20, 2007

Nationalistes Souverains ou Pharisiens et Publicains ?



L’histoire abonde en biographies d’hommes providentiels advenus à une période critique pour apporter à leur nation le soutien capital de leur valeur exceptionnelle.

Franklin D. Roosevelt pour les Etats-Unis, et Winston Churchill en Grande Bretagne en sont des exemples tirés d’un passé récent, ainsi qu’un certain Charles De Gaulle qui s’identifia de manière totale et passionnée avec la France de ses aïeux ; une passion qui ne rencontra qu’une réciprocité tardive de la part des Français.

En 1958, le Liban meurtri par une violente crise socio-politico-confessionnelle qui scinda les Libanais en deux camps antagoniques et divergents était à la recherche d’un homme providentiel au caractère et vertus congruents, pour prendre en charge le pays et entreprendre la tâche délicate de rassembler les fragments épars d’une nation que la lutte intestine avait disséminé.

Que l’accès au pouvoir par le général Fouad Chéhab en 1958 fut le fruit d’un (improbable) consensus national ou de celui (plus plausible) d’un accord entre Washington et le Caire est ici en dehors du sujet ; ce qui importe est que cet ex- militaire s’avéra être un habile modérateur qui sut composer heureusement avec la tâche délicate de recréer l’harmonie perdue au sein de la nation entre Chrétiens et Musulmans, par le truchement du dialogue et de la retenue, ainsi que de l’institution d’importantes reformes et de la création d’une administration moderne et de services publics efficaces ; ce qui engendra inévitablement une confrontation directe avec le clan des politiciens confessionnels et féodaux qui virent leur emprise sur le pouvoir s’affaiblir en résultat normal à la politique ‘’Chéhabiste’’ de rénovation et de réconciliation.

Sans entrer dans de plus amples détails, il serait cependant utile et important de signaler que la plus féroce opposition au ‘’Chéhabisme’’ réformateur vint des chefs politiques Maronites traditionnels qui se coalisèrent pour former ce qui fut connu à l’époque sous le nom de ‘’l’alliance tripartite’’ ; en l’occurrence de l’emblématique pharmacien-footballeur ( comme le cite si délicieusement AlHaqid ), en l’occurrence le Cheikh Pierre Gemayel, le charismatique ‘’tigre de la montagne’’ en la personne de l’ex président Camille Chamoun et de Raymond Eddé le ‘’Amid’’ du bloc national, dont je n’ai pu saisir jusqu’à ce jour les raisons de son ralliement à cette galère de troglodytes. Moralité : il faut plus que du courage et de l’intégrité pour faire un politicien averti.

Cette alliance tripartite, ( finalement établie entre, Chamoun, Chamoun et Chamoun ), soutenue par la masse habituelle des chrétiens Cro-Magnon éternellement à la merci du discours démagogique et mystificateur, fit tant et si bien qu’elle réussit à affaiblir considérablement le courant ‘’Chéhabiste’’ , ramenant en premier temps l’administration du pays durant le mandat de Charles (ballot) Hélou, à la douce fringale de l’anarchie corrompue et sectaire d’antan, pour aboutir à l’apothéose finale en portant au pouvoir en 1970 le Neandertal suprême en la personne de SE. Souleiman Frangié, avec pour conséquence toutes la misère et les calamités qui s’en suivirent…

* * * *

Tels Marc Antoine brandissant la toge ensanglantée de Jules César devant les Romains assemblés sur le Champ de Mars, leurs excellences, Boutros Harb, Nassib Lahoud, Nayla Mouawad et Walid Joumblatt se succédèrent sur l’estrade érigée en Mars 2005 sur la Place des Martyrs (plus connue sous le nom de SOLIDERE) pour agiter le linceul du grand bienfaiteur devant la marée humaine des Libanais, éternellement bernés et à jamais exploités, mais incurablement crédules et toujours prêts à récidiver…

En ces moments troubles (hihihi), il me faut avouer (à ma grande déconfiture) que le seul qui y voyait clair était Walid Bey !

A en croire qu’il était informé à l’avance du cyclone qui allait s’abattre sur le pays et prendre tout le monde au dépourvu.

Fin stratège et opportuniste à souhait, le Walid savait comment saisir l’occasion propice et battre le fer tant qu’il est chaud. Pour lui, la révolution (puisque c’en était une) n’avait que faire des us et coutumes du régime passé, ni de ses lois. De ce fait, la constitution d’un conseil révolutionnaire dont le premier acte serait le limogeage du chef de l’état imposé de force par l’occupant Syrien et la nomination d’un nouveau président était de priorité absolue.

Chose qui effara complètement les castrats politiques Maronites du mouvement du 14 Mars qui avaient plus ou moins usurpé à leurs titulaires véritables encore détenus ou exilés, leurs places à la tête de ‘’la révolution du cèdre’’. Cette révolution qui ne leur devait rien, et dont ils ne savaient trop qu’en faire, sauf que de s'en servir pour redorer leurs blasons personnels sérieusement ternis...

Désemparés devant la perspective de nouvelles élections présidentielles que tous briguaient mais pour lesquelles aucun n’y était préparé, ils se coalisèrent d’un commun accord (une coalition de coupe-jarrets s’observant les uns les autres du coin de l’œil) pour barrer la route au projet du Walid, et en convainquirent sa benoîte sainteté patriarcale (prétextant la sauvegarde du prestige du plus haut poste officiel Maronite) ainsi que les ambassadeurs étrangers, de la justesse de leur raisonnement.

Plus tard on verra ces ardents défenseurs du prestige Maronite porter les coups les plus meurtriers à la présidence, dégradant ainsi à jamais le lustre et l’autorité de l’ultime place de distinction encore détenue par les Chrétiens au Liban.

A y réfléchir pragmatiquement (Ah ce terme, cher à mon épicier pour justifier sa balance trafiquée), on serait tentés de regretter aujourd’hui que le desideratum de Walid bey n’ait pas été exaucé en 2005. Cela aurait peut-être évité aux Libanais bien des déboires.

La priorité fut donc portée vers de nouvelles élections législatives mais là aussi, les politiciens Maronites butèrent sur un os de taille.

Ayant farouchement milité pendant des années pour l’abrogation de la loi électorale établie par les Syriens en 2000 et qui les évinçait au profit d’alliés Libanais plus sûrs, les Chrétiens du 14 Mars se retrouvèrent, avec le renversement dramatique de la situation en 2005, en position de défenseurs acharnés de cette même loi, devenue leur seule planche de salut électoral et ceci pour une multitude de raisons parmi lesquelles leurs nouvelles alliances et leur impopularité grandissante au sein de leur communauté, n’en sont pas des moindres.

Le meilleur de l’histoire était que sa Béate Sainteté qui à donné une fois de plus dans le panneau de leur fourberie, avait entretemps issu un communiqué patriarcal pressant le gouvernement pour l’abrogation de la loi électorale de 2000 et de son remplacement par l’ancienne loi de 1960 plus équilibrée et qui permettait au citoyen l’élection de ses représentants authentiques.

Les désirs de sa Magnificence étant des ordres, une session parlementaire express fut décrétée sur le champ pour la remise en vigueur de la loi de 1960, dont la passation ne faisait aucun doute.

L’on assista alors à la scène incroyable où l’on vit les députés Chrétiens du 14 Mars se retirer l’un après l’autre de la session, muets, blafards et les yeux baissés !

La majorité nécessaire étant rompue, la loi de 1960 ne fut pas réinstaurée et l’on resta sur celle de l’an 2000 ; et sa sainteté pigeonnée en demeura comme deux ronds de flan.

Mais les chevaliers de Kornet Chehwan étaient déjà ailleurs ; et plus précisément chez l’ambassadeur Bernard Emié pour le supplier d’en parler au père Jacques, afin d’empêcher par tous les moyens le retour d’exil annoncé du général Aoun.

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Le reste étant trop récent pour s’être déjà estompé de la mémoire des Libanais pourtant réputée courte, il demeure que malgré les fautes et les péchés mortels commis par les autres communautés libanaises, c’est aux Maronites et à eux seuls qu’incombe la responsabilité de la vie ou de la mort d’un certain Liban.

Assisterions-nous aujourd’hui à leur chant de cygne ?

Du cours où vont les choses, le temps est au pessimisme.

Ibrahim Tyan.


* Visitez : « les carnets du Beyrouthin. »

Thursday, October 11, 2007

Autrefois, naguère et jadis.



Depuis l’établissement du calendrier Grégorien en 1582, il a été convenu que l’équinoxe d’automne tombe le 21, 22, 23 ou 24 Septembre de chaque année, et se distingue dans les rares pays que la nature à privilégié de quatre saisons bien définies, par un adoucissement climatique progressif qui vient marquer la fin des chaleurs d’été et préluder l’avènement des rigueurs hivernales.

Les célèbres ‘’sanglots longs…’’ de Verlaine, ‘’Les feuilles mortes’’ de Prévert, ou ‘’Le chant d’automne’’ de Baudelaire, n’en sont que des spécimens prélevés au hasard sur le vaste et merveilleux répertoire séculaire établi par les grands chantres romantiques de tous les temps, pour exalter en de lignes inoubliables, la magie trouble et mélancolique des pâles lueurs automnales.

Or il est un vieux dicton bien de chez nous qui affirme que pour jouir pleinement des saisons de l’année, il faut passer le printemps à Damas, l’hiver au Caire et l’automne à Beyrouth.

Curieusement, il n’est point question d’été dans cet aphorisme, ce qui porte à croire que l’auteur nous as délibérément laissés le champ libre durant toute cette saison, pour nous démerder comme bon nous semble ; que cela soit à Palma, ou sur la Côte d’Azur, ou encore sur la Riviera Italienne, à moins que l’enfer climatisé de Riyad ne nous tente, et ses mornes dunes poudreuses et calcinées..

Les goûts et les couleurs étant ce qu’elles sont, [et les intérêts, ce que vos savez], cette dernière option complètement impensable chez certains, pourrait bien s’avérer une destination de choix pour d’autres…

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Situé à 33° 53' 13’’ Nord et 35° 30' 47’’ Est du Levant, (terme que je préfère à celui du : « Moyen-Orient » imposé par les Anglo-Saxons), le Beyrouth d’aujourd’hui est cité dans plusieurs manuels récents de géographie parus à travers le monde, comme étant un centre financier et un port de commerce qui fut jadis un centre culturel d'une importance majeure dans l'est de la Méditerranée et les pays Arabes, et qui à été longtemps considérée, du fait de son emplacement stratégique, comme un carrefour entre trois continents (l'Asie, l'Afrique, et l'Europe), et un accès vers l'Orient !

« Qui fut jadis… », et « Qui à été longtemps considéré… »

Comme certaines expressions anodines, peuvent brûler pire qu’un fer rouge !

Tout dépend du contexte.

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JADIS…

Autrefois, la vie des Beyrouthins coulait douce et sans hâte, heureuse, indolente et avec peu de soucis. L’été, la capitale Méditerranéenne se vidait de la plupart de ses habitants car presque tout Beyrouthin possédait ou louait une seconde habitation à la montagne pour y estiver durant la saison des grandes chaleurs.

Les Beyrouthins Chrétiens choisissaient généralement les hauteurs du Metn et du Kesserwan pour y passer l’été, tandis que la préférence des Musulmans allait vers les régions d'Aley, Bhamdoun et Souk-el-Gharb dans le Mont-Liban ainsi qu’aux nombreux villages du Chouf.

Quant aux citadins les plus aguerris et dont j’en fais toujours partie, rien ni personne ne pouvait les déplacer de leur chère vieille ville ni de les éloigner des langueurs azuréennes de leur Méditerranée.

Il faut dire qu’en ces temps là, des plages sans pareil, au sable fin et doré, portant des noms indélébiles dans la mémoire Beyrouthine, notamment: le Côte d’Azur, le Saint-Michel, Le Saint-Simon, le Riviera, l’Acapulco et tant d’autres, plus belles et plus élégantes les unes que les autres, longeaient le long du littoral sud, de la région d’Ouzaï jusqu’à Jnah, se succédant comme des perles en Lapis Lazulite enchâssées dans de l’or, à faire pâlir d’envie les golfes du Bengale et les sables d’Hawaï.

Que de fois me suis-je demandé sur le sort du coquet petit chalet en bois au Saint-Michel, qui fut mien pendant des années, et dont le parquet qui grince, à connu des soirées à étonner des princes… (Salut Barbara).

En ces temps bénis à jamais révolus, la vie était bien plus clémente qu’aujourd’hui, même pour les plus démunis, et une certaine sagesse sereine caractérisait les Beyrouthins qui savaient par instinct que le secret du bonheur véritable réside dans le pain quotidien dûment gagné par le labeur dans la dignité.

Aujourd’hui, presque tous les Libanais dilapident leurs précieux jours, pourtant comptés, à s’essouffler comme des lévriers après la Porsche, la villa et le Jacuzzi.

Remarquez, c’est bien joli un grand jacuzzi, avec un bon cigare, un brut bien frappé et du Mozart en fond sonore. Et pourquoi pas tant qu’on y est, une affriolante Thaï qui vous attends toute en adoration, tenant religieusement votre peignoir-éponge ? (Sincère, aucun cynisme ici)

On ne vit qu’une fois…

Mais il se trouve aussi que c’est payer stupidement trop cher de sa peau et de sa dignité humaine, que de se dégrader jusqu’à s’avilir, trahir, mentir, voler et s’infliger un ulcère duodénal chronique, dans le seul but de s’acquérir à n’importe quel prix, ce qui ne représente finalement qu’une pute, et une cuve en céramique qui fait des bulles.

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Dans l’ancien Beyrouth, l’avènement de l’automne marquait toujours la fin de la ‘’morte saison’’ d’été et l’ouverture de la grande saison mondaine, artistique et culturelle. Les places Debbas, des Martyrs et de Riyad-el Solh qui formaient le cœur battant de la capitale redoublaient en foule et en activité. Après avoir programmé tout le long de l’été des films mineurs ou en seconde vision, les salles de cinéma majeures du centre –ville réaffichaient les nouveautés les plus récentes de la production mondiale, souvent projetées en ‘’Day and Date’’ avec Paris ou Hollywood.

L’ancienne répartition des grandes compagnies cinématographiques internationales entre les salles de cinéma Beyrouthines était bien meilleure que l’ordre chaotique imposé par les distributeurs d’aujourd’hui. Ainsi donc, le cinéphile d’antan savait à l’avance que l’ancien cinéma Empire projetait en exclusivité les films de la Columbia et de l’United Artists, le Métropole : la Paramount+ des films Arabes, le Rivoli : la Warner Bros + des films Arabes, le Capitole : la MGM, le Roxy : la 20th Century Fox, le Dunia : l’Universal, le Radio City : l’Allied Artists, la Rank Britannique et la Titanus Italienne. Un peu plus haut, vers l’avenue Bechara-el-Khoury, le Gaumont Palace programmait les films Français distribués par Gaumont, Odéon et Pathé ainsi que les films Soviétiques de la Mosfilm.

Pour les cinéphiles avertis, Beyrouth rengorgeait de ciné-clubs, mais le plus important et le plus notoire était sans doute le ciné-club de Beyrouth qui reprenait son activité au début de la saison d’automne et dont le standing exceptionnel doit beaucoup au dévouement de l’infatigable Alain Plisson.

C’est grâce à ce club que j’eus l’opportunité de faire connaissance pour la première fois avec les chefs-d’œuvre immortels du cinéma, mais aussi d’avoir rencontré et eu le privilège d’effectuer des échanges personnels avec de prestigieux cinéastes invités tels, André Delvaux (timide jusqu’à l’effacement), Georges Franju (cassant et désagréable), Alain Resnais (élégant et suave) et même André Méliès, fils et collaborateur du grand pionnier du cinéma, Georges Méliès.

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Quand je regarde ce qui se fait aujourd’hui dans le domaine théâtral au Liban, je me sens partagé entre le désespoir le plus accablant et la raillerie la plus féroce.

Où en sommes nous donc de la splendeur d’antan, lorsque Mounir Abou Debs revint de France pour insuffler au théâtre Libanais ce grand élan puissant et ambitieux ?

A la fin des années 1960, j’eus la chance de me lier d’amitié avec Mounir et de participer activement aux cours donnés dans son école privée « L‘école de théâtre moderne de Beyrouth » située dans la région de Clemenceau, (tout près du domicile Beyrouthin de Walid bey…pour ceux pour qui les bornes féodales sont plus familières que les repères culturels).

Ce n’est que progressivement que je vins à découvrir l’importance de ces lieux où un monde nouveau pour moi sur lequel régnaient Eschyle, Sophocle, Shakespeare, Stanislavski, Lee Strasberg et Peter Brook en maîtres absolus, et d’où est sortie la fine fleur de la scène Libanaise tels Raymond Gebara, Antoine et Latifa Moultaka, Roger Assaf, Jalal Khoury et Antoine Kerbage (celui qui fascina jadis les foules en interprétant ‘’ Le roi se meurt’’ d’Ionesco, et pas celui d’aujourd’hui…quoique je comprends parfaitement qu’il faut bien gagner son bifteck).

Qui se souvient aujourd’hui de l’éthérée Théodora Rassy, de l’intense Rida Khoury ou du merveilleux Hamlet que fut Michel Nabaa’ ?

Ou de la version incroyable du Mac Beth de Shakespeare (toujours préservée dans les archives de Télé-Liban) tournée dans d’immenses locaux presque vides et des extérieurs dépouillés, avec pour costumes des jeans, T-shirts et espadrilles, dans la plus pure tradition de Jersey Grotowski (le prince Igor) et de Jerome Robbins (West Side Story) et dans laquelle Mounir Abou Debs honora l’auteur de ces lignes en lui confiant l’immense responsabilité du rôle principal.

Dans toutes les manifestations internationales, de Paris à Berlin et de Moscou à Avignon, le théâtre Libanais polarisait l’attention de la critique étrangère et raflait les distinctions les plus prestigieuses, au grand désintéressement de l’état criminel, toujours trop absorbé à fouetter ses eternels chats pour s'occuper d'autre chose.

Le spectacle à l’aéroport international de Beyrouth, de la troupe de théâtre Libanaise qui rentra incognito, ignorée, démoralisée et presque la queue entre les jambes au début des années 1970, après avoir raflé le premier prix au festival international de Berlin , devant les Russes, les Américains, les Britanniques et tous les autres, avec la fantastique pièce d’avant-garde : ‘’Le Déluge’’, avait de quoi vous foutre la mort dans l’âme.

Pour une fois, et peut-être à cause du sujet qui me tient particulièrement à cœur, j’ai de la difficulté à clore cet article. Je vais donc laisser ce soin à mon très valeureux et très pur Nazim Hikmet, qui lui, déclame de vive voix, avec des mots simples, directs et presque naïfs, tout ce que le long de ce récit, je n’ai cessé de chuchoter.

Ibrahim Tyan.


Traître à la patrie

Oui, je suis traître à la patrie, si vous êtes patriotes, si vous êtes les défenseurs de cette patrie, je suis traître à la patrie,
je suis traître à la patrie

Si la patrie ce sont vos ranchs,
Si c'est tout ce qu'il y a dans vos caisses et sur vos carnets de chèques, la patrie
Si la patrie, c'est crever de faim le long des chaussées,
Si la patrie, c'est trembler de froid dehors comme un chien et se tordre de paludisme en été,
Si c'est boire notre sang écarlate dans vos usines, la patrie Si la patrie, ce sont les ongles de vos grands propriétaires terriens,
Si la patrie, c'est le catéchisme armé de lances, si la patrie, c'est la matraque de la police
Si ce sont vos crédits et vos rémunérations, la patrie
Si la patrie, ce sont les bases américaines, la bombe américaine, les canons de la flotte américaine
Si la patrie, c'est ne pas se délivrer de nos ténèbres pourries.
Alors je suis traître à la patrie.

Nazim Hikmet. (1902-1963)

* Visitez: Les carnets du Beyrouthin.